14 ans et 1,450 milliard pour reloger la Direction des transports terrestres


Le nouveau bâtiment de la Direction des transports terrestres devait être livré au cours du premier semestre 2022, ce qui n'est pas encore le cas.
Tahiti, le 31 août 2022 – Un rapport de la Chambre territoriale des comptes sur la stratégie immobilière du Pays a mis en lumière le projet de relogement de la Direction des transports terrestres. Un projet qui a essuyé moult rebondissements et qui commence enfin à voir le jour, quatorze ans après son lancement, pour un coût total de 1,450 milliard de Fcfp.
 
La Chambre territoriale des comptes (CTC) s'est penchée sur la stratégie immobilière de la Polynésie française, de 2016 à aujourd'hui. Dans son rapport, non encore rendu public et déjà évoqué par TNTV, la CTC pointe du doigt le projet de relogement de la Direction des transports terrestres (DTT). Un projet qui remonte à 2006, date à laquelle un rapport mentionnait “les mauvaises conditions de travail du personnel et d'accueil du public, jugées 'indignes' d'une administration au service des usagers” et la non-conformité des infrastructures aux normes en vigueur. Plusieurs mouvements sociaux ont ensuite conduit à la signature d'un protocole d'accord, le 2 juillet 2008, dont le premier point concernait le relogement de la DTT à l'horizon du début d'année 2011. L'objectif était de regrouper, en un seul et même bâtiment, tous les services administratifs et techniques de la DTT, jusqu'alors répartis sur six sites différents et dont le montant total annuel de la location s'élevait à 24 millions de Fcfp.
 
Un premier projet prévoyait, sur une superficie de 10 000 m2, la construction d'un bâtiment administratif, des parkings, des aires techniques et des voies d'accès. L'établissement d'aménagement et de la construction s'était vu confier la conduite des études pour la construction d'un bâtiment. La convention signée en ce sens a ensuite fait l'objet de trois avenants. Un premier, fin 2010, afin d'augmenter la provision initiale de 20 à 50 millions de Fcfp pour mener les études ; un deuxième, en juin 2012, de 84 millions de Fcfp pour la poursuite de la mission du maître d'œuvre jusqu'à la phase “assistance à contrat de travaux” ; et enfin un troisième, en décembre 2012, pour confier à l'établissement la conduite des travaux alors qu'un appel d'offres avait déjà été lancé, modifiant en conséquence la rémunération du mandataire. Coût total : 125 millions de Fcfp pour un projet finalement abandonné.
 

Encore 125 millions de pertes

En septembre 2011, un deuxième projet pour le relogement de la DTT voit le jour. Il porte sur la construction d'un nouveau bâtiment sur l'ancien site du Comsup à Pirae. En 2012, l'appel d'offres est lancé, mais en juin 2013, un mois après les élections territoriales, le nouveau conseil des ministres acte une modification de l'assise foncière mise à disposition de la direction, “sans qu'aucune raison empêchant le projet initial ne soit avancé”, souligne la CTC. La construction d'un bâtiment neuf est donc abandonnée et le projet prévoit désormais la réhabilitation de l'ancien bâtiment de la Sagep, “que la collectivité envisageait d'acquérir”. C'est chose faite en septembre 2015, pour un montant de 263,57 millions de Fcfp. À cela s'ajoute l'acquisition par le Pays d'une parcelle complémentaire pour 47,32 millions de Fcfp, et sur laquelle il est envisagé un projet de parking commun avec l'OPH. Projet finalement abandonné. La Chambre note que “ce revirement dans le choix de l'assise foncière aura pour conséquence un coût, à perte, d'études de près de 125 millions de Fcfp”, mais aussi l'impossibilité de reloger l'ensemble des services sur un même site en raison d'un redimensionnement à la baisse des superficies des locaux. Il est alors décidé de loger les bureaux du contrôle technique et ceux de la sécurité routière sur l'ancien site du Comsup, comme dans le projet initial. Mais entretemps, les parcelles ont été affectées, à titre gratuit, à la commune de Pirae pour un projet de développement de son territoire. La commune qui avait d'ailleurs trois ans pour concrétiser son projet et qui n'a, à ce jour, toujours rien réalisé.

Un montage financier “irrégulier”

Dans son rapport, la Chambre territoriale des comptes dit “regretter le choix du Pays de se positionner sur un actif de la Sagep, alors que le premier projet était bien engagé et correspondait aux besoins de relogement de la DTT”. Elle note que grâce au projet, la Sagep, “dont l'actionnaire majoritaire est le Pays, a ainsi pu trouver une ressource financière nouvelle de l'ordre de 260 millions de Fcfp en 2015, alors même que sa situation financière dégradée avait conduit à la décision de principe de dissolution de la structure en 2011”. La CTC dénonce un “montage financier irrégulier”. Pour elle, “l'achat de l'actif de la Sagep apparaît avant tout comme un moyen pour le Pays d'apporter à la société d'économie mixte déficitaire des liquidités afin qu'elle puisse faire face à ses dettes”, dont le remboursement notamment d'une avance versée par le Pays.
 
Finalement, le projet de réhabilitation de l'ancien bâtiment de la Sagep se poursuit, avec le lancement des études en 2016. Mais lors des travaux de démolition lancés en juillet 2019, apparaissent des doutes sur la stabilité de la structure de l'ouvrage, entraînant des campagnes d'essais supplémentaires puis une suspension des travaux pendant 14 mois dans l'attente des résultats. Des travaux de renforcement sont finalement nécessaires, pour un montant de 23 millions de Fcfp. Le coût total de la réhabilitation est estimé à 434 millions de Fcfp. Concernant le parking, le chantier a lui aussi pris du retard en raison de l'abandon de la mutualisation avec l'OPH. Un changement qui a contraint à la résiliation du marché de maîtrise d'œuvre (22,8 millions de Fcfp). Des nouvelles études seront lancées en 2021. Le coût total du parking est alors estimé à 431,12 millions de Fcfp. Quatorze ans et 1,450 milliard de Fcfp plus tard, le bâtiment devait être livré au cours du premier semestre 2022, ce qui n'est pas encore le cas. Et sans le parking dont la fin des travaux est prévue pour 2024.

Le bâtiment A3, “une action patrimoniale forte”

Dans son rapport sur la stratégie immobilière de la Polynésie française, la Chambre territoriale des comptes évoque l'opération de construction du bâtiment A3, située entre la rue du Commandant Destremeau, l'avenue Pouvana'a a Oopa et la rue Maadi Gobrait. Le bâtiment, en R+7 et un parking de 150 places, s'inscrit dans la politique de modernisation de l'administration du Pays. Il a “pour ambition d'offrir à ses usagers un service public performant tout en veillant à la qualité de vie au travail de ses agents”, indiquait le président du Pays dans son rapport 2020 à l'assemblée de la Polynésie française. Le bâtiment prévoit d'accueillir les services de l'administration actuellement situés dans les locaux de l'immeuble Papineau loués par le Pays (Sefi, DT, DGRH) et de la direction du budget et des finances, actuellement répartis sur plusieurs sites.
 
La CTC souligne que pour la construction de ce bâtiment, le Pays a décidé de s'inscrire dans une démarche de qualité environnementale des bâtiments “afin d'optimiser les conditions d'utilisation des locaux (technique, visuel, acoustique) et de minimiser l'impact de l'ouvrage sur l'environnement existant, et, à plus grande échelle, sur les ressources (matières premières, eau, énergie) et l'environnement (effet de serre)”. Il s'agit d'un projet à “l'impact environnemental réduit et au coût optimisé”. L'utilisation de la lumière naturelle sera optimisée et la climatisation des locaux se fera par un système à eau glacé (un éventuel raccordement ultérieur au Swac est envisagé). Le projet prévoit également la création d'un laboratoire d'innovation publique “pour permettre aux services d'améliorer leur qualité de service”.
 
Le coût total de l'opération est estimé à 6,6 milliards de Fcfp (4 milliards pour la construction du bâtiment, 175 millions pour l'acquisition de la propriété bâtie, 800 millions pour la construction du centre administratif de transit et 1,6 milliard pour la construction du parking silo). La livraison du parking est annoncée pour avril 2023 et celle du bâtiment A3 pour décembre 2023.
 
Dans ses conclusions, la Chambre note une “action patrimoniale forte” et parle d'un programme “ambitieux techniquement et financièrement”. Elle souligne que ces chantiers doivent participer au soutien de l'économie locale dans le cadre du plan de relance. La Chambre attire toutefois l'attention du Pays sur la “maîtrise des coûts et des délais de réalisation de cette opération emblématique dans le contexte mondial de la hausse des matières premières et des difficultés générales d'approvisionnement amplifiées en Polynésie française”.
 

Baisse des recettes issues des redevances domaniales

Le rapport de la Chambre territoriale des comptes souligne une baisse conséquente des recettes issues des redevances domaniales. Elles sont passées de près de 715 millions en 2016 à seulement 529 millions en 2019, soit une baisse de 26% en trois ans. Et en 2020, la baisse s'établissait à 58% par rapport à 2016. Un recul qui s'explique principalement par l'exonération totale des redevances dues pour l'occupation d'immeubles du domaine public, destinés à l'exercice des activités économiques, accordée en 2020 aux activités du tourisme, de la restauration, de l'artisanat, de l'agriculture, du transport et de la pêche. En 2021, la tendance s'est encore fortement accentuée. Les recettes enregistrées ne sont plus de de 86,4 millions, soit une diminution de 70% par rapport à 2020. Ce sont les redevances d'occupation du domaine maritime, qui représentent à elles seules 53% des recettes en matière de redevances domaniales, qui ont essuyé la plus forte baisse : de 303 millions de Fcfp en 2016, elles sont passées à 5 millions en 2021. Ce retrait est consécutif au choix du gouvernement, en raison de la crise sanitaire, de maintenir, sur un second exercice, et dans les mêmes conditions et limites que précédemment, son soutien à l'activité économique par la reconduction de l'exonération des redevances dues pour l'occupation d'immeubles du domaine public”, souligne la CTC. Cette dernière “encourage la collectivité à procéder aujourd'hui à une évaluation et un bilan de cet avantage accordé afin d'en affiner les conditions d'octroi, pour qu'il ne s'adresse désormais qu'à des acteurs économiques véritablement en grande difficulté”.

Optimiser l'immeuble du boulevard Saint-Germain

Le rapport de la Chambre territoriale des comptes recommande au Pays d'optimiser, dès 2022, les conditions d'occupation de l'immeuble sis 28 boulevard Saint-Germain, à Paris, en dégageant de nouveaux espaces à louer. Celui-ci est actuellement occupé par la Délégation de la Polynésie française et Air Tahiti Nui, mais comprend également, entre autres, une salle d'exposition, une cuisine, un local d'archives, une salle de réunion, et des logements mis à disposition des missionnaires du Pays et du président de la Polynésie.
 
Dans sa réponse, le Pays mentionne que “ce bien génère une recette locative annuelle de 4,1 millions de Fcfp et précise qu'il n'a pas été acquis pour en faire un immeuble de rapport ou pour faire de la spéculation immobilière mais pour y loger sa représentation en France et en Europe”. De son côté, la CTC souligne que “l'optimisation de l'utilisation du bien n'est pas contraire à son utilisation à titre principal comme lieu de représentation en France de la Polynésie. Cette action va dans le sens d'une politique patrimoniale économe des deniers publics”.

Rédigé par Anne-Laure Guffroy le Jeudi 1 Septembre 2022 à 16:37 | Lu 4524 fois