108 détenus du centre pénitentiaire de Nuutania sont scolarisés


L'accueil des officiels devant la porte de Nuutania.
Une convention a été signée ce vendredi 28 septembre, entre l’Etat et la Polynésie française en présence d’Alexandre Rochatte, secrétaire général du haut-commissariat et Tauhiti Nena, le ministre de l’éducation de Polynésie, afin de pérenniser l’unité locale d’enseignement des établissements pénitentiaires de Polynésie. La précédente convention datait de 2006 et depuis les conditions d’enseignement en milieu pénitentiaire ont changé. En effet, à l’origine un seul enseignant avait été affecté à l’éducation en milieu carcéral, ils sont trois désormais et accueillent des élèves dans différents niveaux : aussi bien la lutte contre l’illettrisme, remise à niveau du primaire ou du secondaire, jusqu’à une capacité en droit pour ceux qui vont le plus loin dans leur cursus d’enseignement. A Nuutania, 108 détenus sont actuellement scolarisés. Trois sont mineurs et sont dans l’obligation d’être scolarisés, les autres sont des adultes (hommes ou femmes) volontaires pour suivre ces cours, qui participent à leur réinsertion dans la vie sociale et professionnelle afin de mieux aborder leur sortie du milieu carcéral. Pour l’heure, seuls les centres de Nuutania et Raiatea (avec une vingtaine d’élèves volontaires) sont concernés par le dispositif d’enseignement en prison.

Les trois enseignants du centre pénitentiaire ont reçu des lettres de félicitations.
UNE ORGANISATION COMPLEXE

Si l’enseignement dispensé dans les établissements pénitentiaires correspond à un droit pour les personnes privées de liberté, toutes n’y ont pas accès immédiatement. Avec 108 élèves sur 427 détenus à Nuutania, les cours actuellement dispensés sont pleins, aussi certains détenus sont placés sur liste d’attente avant de pouvoir accéder à cet enseignement.

La difficulté est que l’organisation interne est délicate. Prévenus et condamnés ne peuvent pas étudier ensemble, hommes et femmes sont séparés bien entendu, de même que les mineurs. Il faut également tenir compte des incompatibilités judiciaires ou relationnelles entre certains détenus, et encore des niveaux de chacun : en accueillir plus que les 108 actuellement à Nuutunia et une vingtaine à Raiatea est impossible. Aussi, un détenu volontaire pour suivre un enseignement sera donc d’abord évalué par le service de probation et d’insertion (SPI) en fonction de son projet personnel de réinsertion. «Le but est d’éviter au maximum la sortie sèche. On arrive avec ces modules d’enseignement à avoir des détenus acteurs de leur détention, utilisant ce temps d’incarcération pour préparer leur sortie» détaille Jean Delpech, directeur des établissements pénitentiaires de Polynésie française.

Pour les trois enseignants, ayant une formation spécialisée, il s’agit aussi de s’adapter à ce public multiforme puisqu’ils passent successivement de groupes d’élèves en retard scolaire majeur, venus rattraper les bases, à ceux qui en sont à préparer des DAEU (diplôme d’aptitude à l’enseignement supérieur), un équivalent du baccalauréat, et même des capacités en droit. Les résultats à Nuutania sont encourageants avec un taux moyen de réussite aux examens (qui sont des examens nationaux) de 80%. Ces résultats sont variables toutefois en fonction du niveau sélectionné. En juin dernier, à la fin de la dernière année scolaire 22 hommes sur les 23 inscrits, et 4 femmes sur les 6 inscrites, ont réussi leur CFG (certificat de formation générale). 8 candidats ont également obtenu leur DNB (diplôme national du brevet), qui se passe en cursus habituel à la fin du collège. 1 candidat sur 3 a réussi son DAEU.

Une salle de cours à Nuutania.
DES CONDITIONS A AMELIORER

Actuellement à Nuutania, seules quatre salles de cours sont disponibles. Il s’agit bien sûr de salles sans fenêtre, éclairées par des puits de lumière ou d’étroits vasistas, au ras du sol. Les élèves utilisent parfois la salle de culte, plus vaste, et ont accès à une bibliothèque. Il n’existe pas, pour l’instant, de formation professionnelle en prison en Polynésie française, alors que la demande est forte, faute d’ateliers aménagés à cet effet.

Des conditions qui s’amélioreront toutefois lorsque le nouveau centre pénitentiaire, en projet depuis des années, sera effectivement réalisé. Pour les trois enseignants, il faut savoir s’adapter au public, aux différents niveaux d’enseignement et aux conditions du milieu carcéral. «Les salles sont très mal insonorisées et même si les élèves sont concentrés, le brouhaha est permanent. Nous sommes parfois interrompus par les expressions bruyantes de la souffrance de certains détenus en cellule» admet un des enseignants.

Cela dit, les salles de cours se trouvent dans la partie déjà réhabilitée du centre pénitentiaire de Nuutania. Les escaliers ont été blanchis récemment, les salles sont propres et certains murs décorés de fresques colorées. Même si constamment il faut passer de lourdes grilles d’un espace à un autre et la présence permanente des gardiens, l’ambiance est studieuse. A tel point que certains des détenus scolarisés considèrent ces sessions d’enseignement comme un moyen d’échapper à leurs conditions de vie, autrement plus difficiles en cellule.

Témoignage : il prépare une capacité en droit derrière les barreaux

Il a 30 ans et vient de passer les cinq dernières années de sa vie en prison. S’il se comporte bien, il pourra sortir l’année prochaine, sous le régime de l’aménagement de la peine. Une sortie qu’il attend avec impatience et qu’il prépare avec application. Il est actuellement en deuxième année de capacité en droit, et lui qui n’avait jamais passé d’examens scolaires dans sa vie d’avant, réalise que cet enseignement est une chance.

«Au début en arrivant ici, je n’étais pas prêt pour faire des études. Il a fallu d’abord se remettre en question. J’ai commencé par l’atelier d’arts plastiques, puis une remise à niveau scolaire et maintenant je suis en 2e année de capacité en droit. C’est une chance extraordinaire que j’ai, cela m’aidera pour mon retour dans la vie active, c’est un honneur de pouvoir suivre ces cours». Ce détenu suit sa scolarité en prison à raison de quatre séances en moyenne par semaine. «Aujourd’hui ma priorité ce sont mes études. J’ai l’intention de monter une structure d’aide aux personnes âgées et handicapées en sortant. Finalement, le fait d’avoir été incarcéré a été presque une chance pour moi, cela m’a permis de faire des études».


Rédigé par Mireille Loubet le Vendredi 28 Septembre 2012 à 12:13 | Lu 1558 fois