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​Suivi botanique aux Marquises : un engagement pour la conservation


Ua Pou, le 19 février 2025 - La Direction de l’environnement a missionné le botaniste Jean-François Butaud pour mettre en place un protocole de suivi de la flore marquisienne après le classement de l’archipel à l’Unesco. Il a débuté sa mission sur l’île de Ua Pou.

Jean-François Butaud, ingénieur forestier et docteur en chimie moléculaire diplômé de l’Université de la Polynésie française (UPF), connaît bien la flore marquisienne. Si bien qu’au Marquises, il est surnommé “Monsieur Santal”. Un surnom qui remonte à l’époque où il est arrivé à Nuku Hiva en 1998, pour travailler 16 mois au Service du développement durable dans le cadre d’un volontariat civil à l'aide technique (VCAT), une expérience suivie d’un mémoire de thèse de doctorat et de nombreux ouvrages consacrés à cette ressource fragile tant convoitée.

Fort de cette expérience sur le terrain et de sa connaissance poussée des plantes de Polynésie, il était de retour aux Marquises la semaine dernière, missionné par la Direction de l’environnement (Diren) pour réaliser un protocole de suivi de la flore marquisienne. Celui-ci s’inscrit dans le cadre du classement des îles Marquises au patrimoine mondial de l’Unesco. Le botaniste a effectué la première partie de cette mission à Ua Pou, il reviendra plus tard dans l’année pour effectuer ce même suivi à Nuku Hiva, Tahuata et Fatu Hiva. Hiva Oa et Ua Huka ne font pas partie de cette mission car les deux îles n’ont pas de sites naturels terrestres inscrits sur la liste du patrimoine mondial.

“Suite au classement à l’Unesco, le Pays s’engage à mettre en place des indicateurs pour montrer que ça va dans le bon sens. On fait un état des lieux, on part d’un ‘point zéro’ pour un nombre de plantes patrimoniales qu’on a décidé de suivre car elles sont représentatives de l’état du milieu. On les étiquette dans un temps défini avec une languette métallique qui précise le nom, la taille, etc. Et on reviendra dans cinq ans pour voir s’il y a une évolution et refaire la même démarche”, explique Jean-François Butaud.

Jean-François Butaud, botaniste.
Jean-François Butaud, botaniste.
Cinq plantes en observation

Cinq plantes sont donc en observation à Ua Pou : le puahi (Santalum insulare marchionense, espèce protégée et réglementée déjà disparue à Ua Huka et très rare ailleurs), le kohai (Sesbania Marchionica, en danger critique d’extinction, on le trouve encore sur certains motu), la kapatahi (tiare apetahi à la teinte rosée présente sur toutes les îles Marquises, en danger critique d’extinction), et enfin, l’Ixora uapouensis et l’Alstonia marquisensis.

Pour citer une autre plante de Ua Pou qu’il serait bon de surveiller et de remettre au goût du jour, Jean-François Butaud évoque la fleur de coton local en voie de disparition, la haha’avai, autrefois beaucoup utilisée dans la fabrication du paku (mono’i de couleur jaune utilisé lors de grands événements aux Marquises) qui se perd malheureusement par hybridation avec un cousin importé.

Les Marquises se distinguent par un climat plus sec que le reste de la Polynésie, avec des forêts sèches et semi-sèches de basse altitude. C'est l’archipel le plus éloigné de tout continent. Il a subi des sécheresses récurrentes qui ont modelé une végétation adaptée mais vulnérable à la compétition des espèces introduites. De plus, ces trente dernières années, les Marquises Nord (Nuku Hiva, Ua Pou, Ua Huka) subissent une baisse significative de la pluviométrie par rapport aux îles du sud.

Des plantes envahissantes, mais qui sont “encore gérables”

“À Nuku Hiva, l’île floristiquement la plus riche, les plantes sont plus menacées par la concurrence des espèces introduites et les animaux en liberté (notamment sur les terrains domaniaux)”, indique Jean-François Butaud. Avec une sécheresse hors normes et des forêts de basse altitude qui ont disparu pour laisser la place aux nuisibles “acacias” (Leucaena leucocephala) mais aussi une grosse superficie humide de haute altitude, le botaniste constate qu’il y a bien quelques problèmes de plantes envahissantes à Ua Pou, mais qui, selon lui, “sont encore gérables”. “Les moyenne et haute altitudes sont très peu dégradées par les plantes envahissantes et les animaux en divagation : on y trouve des plantes qui, plus à l’ouest dans le Pacifique, sont généralement localisées strictement sur le littoral mais qui se retrouvent ici à 950 m d’altitude, comme le hau (purau).”

On trouve également quelques pieds de falcata jusqu’à Poumaka et quelques espèces de plantes introduites récemment qui doivent faire l’objet d’une surveillance accrue (comme la Lantana ou la Boerhavia coccinea apparue en 2013 à Tahiti et il y a deux ans à Ua Pou). On peut malgré tout observer la diminution progressive des banians et pukatea (Pizonia Grandis) accentuée par l’invasion de l’acacia et l’activité des chèvres.

L’île n’est malheureusement pas à l’abri d’introduction d’espèces invasives, faute de mesures de protection au niveau territorial, tout en sachant que l’archipel des Marquises est la porte d’entrée pour les bateaux en provenance des Amériques. Un agent de la biosécurité est en poste à Nuku Hiva, mais seul, il ne peut pas tout faire.

De nombreuses plantes encore “jamais décrites”

Jean-François Butaud souligne qu’il est également crucial de protéger les populations de Kukupa (Ptilope du Petit-Thouars), fondamental pour la reproduction des forêts des îles, car il participe activement à la dissémination des graines. Pour rappel, le Monarque de Ua Pou s’est éteint il y a moins de cinquante ans, le Pihiti, autrefois bien présent sur l’île mais menacé par le rat noir, a heureusement été réimplanté avec succès à Ua Huka et le Bulbul à ventre rouge est arrivé sur l’île en 2019.

La bonne nouvelle, c’est que lors de ces pérégrinations au pied des pics, le botaniste a enfin pu prélever une plante jusque-là jamais répertoriée. Il l’avait déjà vue au pied du mont Oave en 2017 mais étant stérile à l’époque, il n’a pas pu l’extraire pour étude. “Ce qui est motivant pour un botaniste, c’est qu’en Polynésie, il y a beaucoup de plantes jamais décrites et beaucoup de plantes que l’on retrouve après 100 ans, alors qu’on pensait qu’elles avaient disparu”, dit-il.

Une documentation conséquente sur les plantes de Polynésie est disponible gratuitement sur le site internet de la Diren et le Guide des arbres de Polynésie, sorti en 2008, est prévu d’être réactualisé cette année pour ceux qui souhaitent en apprendre plus sur la flore de nos îles.

Rédigé par Eve Delahaut le Jeudi 20 Février 2025 à 09:12 | Lu 686 fois