Tahiti Infos

​Emmanuel Macron : "La nation a une dette à l'égard de la Polynésie française"


Tahiti, le 7 avril 2022 - Statut d'autonomie, conséquences des essais nucléaires et transition énergétique. À l'approche du premier tour de l'élection présidentielle, Tahiti Infos a adressé six questions aux douze candidats nationaux dont six sont représentés localement. Tel qu'il l'avait déjà fait dans une vidéo et une lettre ouverte adressées aux Polynésiens, le président de la République candidat à sa réélection, Emmanuel Macron, affirme qu'il veut "la vérité et la transparence" sur les  conséquences des essais nucléaires.
 
La Polynésie française dispose d'un statut de large autonomie au sein de la République. Comment vous positionnez-vous vis-à-vis de la situation statutaire actuelle et de son évolution éventuelle ?

"Pas de tabou dès lors que cette évolution répond à une attente particulière et majoritaire de la population. Les quelques jours passés au fenua en juillet dernier m'ont laissé penser que les attentes étaient autres et davantage portées sur le développement économique, l'emploi notamment. Je resterai à l'écoute des Polynésiens."
 
En particulier, la Polynésie française est inscrite depuis 2013 sur la liste des territoires non-autonomes de l'ONU. Pensez-vous que la France doit prendre part à ce processus aux Nations Unies ?
 
"Le président Fritch a pu se rendre à plusieurs reprises à New York pour rappeler quelle était la position réelle des Polynésiens. Il a ainsi porté la voix des institutions polynésiennes. Le respect de la démocratie et des institutions constituent aussi les piliers fondateurs de l'Organisation des Nations Unies."
 
Sur le sujet des conséquences des essais nucléaires menés entre 1966 et 1996 en Polynésie française, le système d'indemnisation actuelle de la Loi Morin vous convient-il ? L'État doit-il accompagner davantage la collectivité sur ce dossier ?
 
"Le système d'indemnisation a été adapté pour répondre au mieux à notre responsabilité. Nous nous devons de regarder l'histoire en face et d'apporter une réponse à ceux pour qui une autorité administrative indépendante (le Civen) reconnaît un lien entre la maladie et les essais nucléaires. Le dispositif fonctionne et le nombre des personnes indemnisées a augmenté ces dernières années. Lors de mon déplacement en Polynésie j'ai annoncé qu'il fallait faire mieux et plus rapidement. J'ai souhaité que nous allions à la rencontre des victimes et leurs ayants droits qui ont pu ne pas être identifiés et que nous les aidions à constituer leur dossier de demande d'indemnisation. La mission a été constituée et elle est aujourd'hui à l'œuvre dans les atolls, au contact de nos populations. J'ai tenu à renforcer rapidement les moyens de l'État sur ce plan, cet engagement est tenu. D'autres actions sont en cours également, sur le plan de l'ouverture des archives, de la dépollution et de la réparation, de la revitalisation. J'assume avoir brisé le silence qui pesait sur ce dossier. Je poursuivrai ce chemin avec les Polynésiens pour une confiance retrouvée, restaurée, qui regarde vers l'avenir."
 
En tant que président de la République, comment définiriez-vous le rôle de l’État dans ses compétences régaliennes en Polynésie française (armée, relations internationales, zone économique exclusive…) ?
 
"L'Etat exerce pleinement ses compétences. Lors de ma visite j'ai pu rencontrer les jeunes du SMA aux Marquises qui bénéficient d'une formation par les Armées en vue de leur insertion professionnelle. C'est pour développer cette aide à une partie de la jeunesse, notamment dans les archipels, que j'ai décidé la création d'une nouvelle compagnie aux Tuamotu, à Hao. J'ai aussi rencontré les représentants de la filière pêche à Papeete et pu apprécier la qualité du développement exemplaire de cette filière durable. Ils m'ont tous dit la satisfaction qu'ils avaient de voir la sécurité et la protection de notre ZEE assurées par nos forces armées. En août, l'épidémie de Covid qui a durement frappé le fenua a montré ce que la solidarité nationale voulait dire. Cette solidarité s'est exprimée sur le plan des aides économiques aux entreprises et à l'emploi, sur l'accompagnement financier du Pays, ou encore sur les moyens matériels et les renforts sanitaires pour lutter, tous ensemble, contre ce virus et ses variants. L'État répond aussi présent aux côtés du gouvernement polynésien et des communes pour la protection de nos populations contre les effets du réchauffement climatique, comme le marque le programme de construction d'abris de survie que j'ai tenu à soutenir dans nos atolls face au risque cyclonique. J'ai pu le mesurer encore en me rendant à Manihi et ce programme a là aussi démarré avec le Pays. Je poursuivrai enfin l'action continue de nos forces de sécurité et celle de la justice, à déployer une stratégie forte de lutte contre le fléau de l'Ice pour protéger la jeunesse polynésienne. Aucun effort n'a été et ne sera épargné dès lors qu'il permettra de sauver des vies."
 
Comment l'État peut-il accompagner la Polynésie française dans sa transition énergétique, notamment pour atteindre les objectifs environnementaux fixés au niveau national ?
 
 "Là aussi j'ai tenu à agir rapidement et concrètement.  Lors de mon déplacement au fenua, j'ai annoncé la création d'un fonds dédié pour contribuer au financement de la transition énergétique et pour répondre à l'enjeu de l'accès à l'énergie dans les îles et les atolls isolés. Un enjeu cher à nos populations et porté par nos tāvana et le Pays. Ce fonds d'investissements pluriannuel de près de 7 milliards FCfp vient accompagner avec force la stratégie du Pays déclinée par le Plan Climat Energie et le Programme Pluriannuel Energétique. L'accompagnement de l'AFD et celui de l'Ademe viennent compléter utilement ce dispositif auprès de tous les acteurs de la filière. L'État est clairement aux côtés des institutions du fenua, pour atteindre les objectifs qu'elles se sont fixés, dans le plus profond respect de l'autonomie polynésienne, en parfaite cohérence avec nos objectifs nationaux."
 
Sur le principe d'une carte blanche offerte à tous les candidats à l'élection présidentielle, quelles sont les propositions spécifiques que vous envisagez pour la Polynésie française ?
 
"J'ai pu exprimer, au travers d'un courrier et d'une vidéo à l'attention de chaque Polynésien, toute la place que prend le fenua dans le projet que je porte avec tout mon cœur pour notre nation. Un projet avant tout pour améliorer le quotidien de chacun, pour faire bouger les choses et en même temps pour préparer l'avenir à un horizon de 10 à 15 ans. La Polynésie, vaste comme l'Europe, espace de culture et de générosité, a aussi une place particulière au sein de la nation à cause du fait nucléaire. La nation a une dette à l'égard de la Polynésie française pour avoir abrité les essais et j'assume les conséquences de ce choix et la reconnaissance qui s'y attache. Je veux la vérité et la transparence, seul chemin pour pouvoir avancer et regarder l'avenir. Regarder l'avenir c'est agir aussi aux côtés du Pays pour favoriser encore l'accès à la santé, à une meilleure prise en charge notamment des cancers. C'est lutter avec les autorités du Pays contre l'augmentation des prix et accompagner la Polynésie dans tous les investissements qui vont réduire sa dépendance extérieure, notamment en matière d'énergie pour réduire le poids des hydrocarbures par un recours massif aux énergies vertes. C'est aussi agir à vos côtés pour viser l'autosuffisance alimentaire en développant les productions agricoles et leur transformation sur des circuits courts, aux côtés du Pays et des communes. Il nous faudra repenser la défiscalisation pour accélérer les investissements nécessaires et nous accompagnerons le développement de vos secteurs porteurs, du tourisme, de la pêche et de la perliculture durables. Je soutiendrai la candidature des îles Marquises à l'Unesco et  je veux continuer à accompagner la jeunesse polynésienne face aux défis du quotidien. J'ai souhaité personnellement une stratégie Indopacifique pour la France qui conforte notre présence dans le Pacifique et dont l'objectif est toujours de vous protéger et de vous accompagner. Vous me connaissez mieux depuis 5 ans et vous connaissez mon engagement à vous défendre. Vous connaissez mon attachement et mon affection pour toutes et tous. Je me présente devant vous avec humilité mais aussi avec beaucoup de détermination et d'envie pour la suite. Je remets cette confiance entre vos mains ce samedi 9 avril. Mauruuru."
 

Rédigé par Garance Colbert le Jeudi 7 Avril 2022 à 10:55 | Lu 1661 fois