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Réforme de la PSG : "Les gouvernements ne sont pas là pour être uniquement populaires"


PAPEETE, le 8 février 2017. Jacques Raynal, qui a déjà eu le portefeuille du ministre de la Santé quelques mois entre 2004 et 2006, a repris en charge un maroquin où de nombreux dossiers sont urgents : réforme de la PSG, lutte contre le diabète et l'obésité, réorganisation des établissements publics… L'ancien médecin généraliste a décidé de passer à l'action tout de suite en fixant un calendrier précis. Les premières mesures concrètes pour la retraite sont attendues cette année. Interview.

La réforme de la protection sociale généralisée a été lancée en 2010. Sept ans plus tard, pourquoi celle-ci n'a toujours pas été réalisée ?
"Quand il s'agit de réformes importantes relatives au quotidien des personnes, c'est toujours un peu difficile car la population n'a pas toujours forcément conscience des enjeux. Il s'agit d'une réforme assez générale, qui va avoir une portée sur plusieurs années et surtout dans plusieurs domaines. Si les gens ne sont pas assez sensibilisés à la nécessité d'une réforme, ils ne peuvent que s'y opposer si cela les bouscule trop dans leur quotidien. Je pense que c'est principalement ce frein qui a joué. Mais il y a quand même des choses qui ont été faites. Certes tout n'est pas encore dans les tuyaux mais beaucoup de choses sont prêtes à être positionnées.

La semaine dernière, vous annonciez que les premières étapes de réalisations concrètes pour les retraites devront être visibles dès 2017.
"Oui, à part quelques ajustements sur l'âge légal de la prise de la retraite, il y a quand même eu de bonnes avancées : on est proche de pouvoir donner ce qu'il faut."

L'an dernier, la proposition du gouvernement était de passer l'âge légal de la retraite à 62 ans dès cette année. On reste sur ces 62 ans ?
"C'est ça avec une avancée de six mois tous les ans."

On parlait aussi d'une durée de cotisations de 40 ans et d'un taux de cotisation à 21.75 % en 2020…
"Le taux de cotisation peut être réévalué en fonction des financements. Ce qu'il faut c'est essayer de voir si on peut avoir une diversification des financements de façon à éviter de toujours prélever sur les salaires, ce qui renchérit le coût du travail. On pourrait fiscaliser un petit peu, pourquoi pas ? Mais rien n'est décidé. Ce n'est pas quelque chose d'acquis."

Vous avez annoncé aussi la création d'un comité de pilotage qui "associera l’ensemble de la société civile, les acteurs de santé publique et privée et d’autres organismes comme la CPS". En quoi ce comité est-il différent des négociations qui ont pu être menées ces dernières années avec les syndicats de salariés et patronaux ?
"On n'est pas dans le cadre d'une négociation mais d'un brainstorming où les gens pourront donner leur avis et leur ressenti par rapport aux mesures. Les syndicats de salariés vont bien sûr être à l'intérieur de ces ateliers comme les employeurs. Ils nous diront quelles sont leurs préoccupations par rapport aux mesures. Mais on ne leur demande pas d'être d'accord ou pas d'accord.
A partir de là, on essaiera d'avoir une communication ciblée sur ces points afin de faire en sorte que la population, les citoyens puissent mieux comprendre l'intérêt de ces mesures, leur côté positif, -les mesures n'ont pas que des côtés négatifs même si elles en ont-. L'intérêt des mesures à prendre est de permettre la pérennité du système, sinon cela s'arrête."

Le calendrier est ensuite assez serré. Vous avez défini les échéances.
"Aux alentours du 22 mars, on aura restitué au gouvernement très probablement. Ce sera public d'ici fin mars. La réforme de la protection sociale généralisée va s'étaler sur deux ou trois ans."

Les mesures que vous devez prendre ne seront pas très populaires. Allez-vous pouvoir toutes les prendre alors que dans un an, ce sont les élections territoriales ?
"Les gouvernements ne sont pas là pour être uniquement populaires sinon cela ne serait pas possible de gouverner. La question n'est pas de savoir si on fait plaisir aux gens. Il s'agit de savoir si la mesure est nécessaire, utile et peut avoir un impact positif. Toutes les personnes qui ont discuté sur ces questions sont d'accord pour dire qu'il faut prendre de mesures. Si on n'en prend pas l'édifice va s'effondrer car il n'y a aura plus suffisamment d'argent. Les conditions économiques qui ont présidé à la mise en place de la PSG ont changé. Il y a eu une crise en 2008 qui a fait perdre de nombreuses ressources financières notamment en raison de la disparition des emplois."

Le schéma d'organisation sanitaire (SOS) a été adopté l'an dernier. Il prévoit la création d'une Autorité de régulation de la santé et de la Protection sociale. Le SOS prévoit qu'elle soit chargée de la définition des orientations stratégiques, de la mise en œuvre et de la régulation de la politique de santé. Cette Autorité n'a pas encore été créée.
"Non, cela n'a pas été fait mais c'est en cours. On a lancé en métropole la recherche d'un préfigurateur pour élaborer cette autorité du Pays sur tout ce qui concerne la santé. Je souhaite qu'elle voit le jour le plus tôt possible, donc d'ici la fin de l'année."

Il était aussi question que les hôpitaux publics soient regroupés au sein d'une entité unique.
"C'est en cours. On vient de changer la directrice de la santé. Dès son premier jour, lundi, Laurence Bonnac-Théron a travaillé sur cette question.
La réflexion est partagée entre regrouper dans une seule entité Taravao, Uturoa, Taiohae principalement, -Moorea peut être mais ce n'est pas certain- qui garderaient leur structure administrative et qui signeraient une convention avec le CHPF. D'autres sont plutôt partisans d'intégrer l'une ou l'autre de ses structures au CHPF. Personnellement, je suis très réservé sur cette deuxième option pour une question de budget.
Mais cela reste à trancher, je ne suis pas le décisionnaire unique.

En juillet dernier, le Pays a lancé le recrutement de dix médecins : dont trois pour l'hôpital de Taravao et trois pour les Marquises. A Taiohae, aujourd'hui, il manque un anesthésiste. Pourquoi est-ce difficile de recruter des médecins. Est-ce un problème de rémunération ou de conditions de travail ?
"Les rémunérations sont bonnes, les conditions de travail sont ce qu'elles sont dans les îles éloignées.
Le problème c'est qu'on ne trouve pas de personnes qui veuillent faire un contrat de plusieurs années aux Marquises.
Ce problème sera réglé très probablement par la réunion des hôpitaux secondaires. Soit par convention, certains praticiens hospitaliers du Taaone pourront aller travailler ponctuellement dans les hôpitaux périphériques, soit dans les hôpitaux périphériques nous aurons assez de praticiens pour les faire tourner dans les établissements.
C'est vraiment la réforme qui impactera sur ce déficit en personnel."

Le schéma d'organisation sanitaire insiste sur le besoin de créer un pôle privé unique. Où en est ce dossier ?
"Avant de lancer l'appel d'offres, nous avons d'autres choses à faire sur le plan administratif. Il faut revoir la carte sanitaire (document qui établit les besoins en soins de toute la population), ensuite faire des appels à projets en fonction de la carte sanitaire. On est dans un travail purement administratif pour l'instant."

Les maladies liées à notre comportement ou à notre mode de vie pèsent de plus en plus lourd dans le budget de la protection sociale généralisée.
Les maladies liées à notre comportement ou à notre mode de vie pèsent de plus en plus lourd dans le budget de la protection sociale généralisée.
Dans la nuit du 17 au 18 mars, la clinique Paofai s'était retrouvée sans électricité. Après une visite dans l'établissement, le 18 mars, la commission de sécurité avait émis un avis défavorable à l'ouverture. Six mois plus tard, en septembre, la clinique Paofai a reçu un avis favorable de la commission de sécurité. Qu'en pensez-vous ?
"Je laisse la commission de sécurité, puisque c'est son rôle, dire si cet établissement est compatible avec la sécurité des soins. A l'heure où je vous parle, la sécurité est assurée."

Les cliniques de Paofai et de Cardella sont deux établissements vieillissants.
"Oui c'est pour ça que le SOS prévoit cette proposition de pôle privé unique qui paraitrait beaucoup plus logique que d'avoir deux établissements. Moi, je suis personnellement pour le rapprochement mais on ne peut pas obliger les gens s'ils ne veulent pas se marier… Je pense que les médecins eux-mêmes seraient tout à fait d'accord pour travailler dans un seul établissement. Après il y a des intérêts financiers ou autres qui sont peut-être supérieurs à l'intérêt que les médecins portent à leurs conditions de travail."

Les maladies liées à l'obésité pèsent de plus en plus lourd dans le budget de la protection sociale généralisée, qu'allez-vous prendre comme mesures concrètes pour lutter contre ce phénomène ?
"C'est le domaine où il faut être pluridisciplinaire. Ce n'est pas parce qu'on va taxer le sucre qu'on va éliminer le problème du diabète. C'est là que le Schéma d'organisation entre à nouveau en jeu. Il prévoit la création d'un Etablissement public unique, en charge de la prévention et des soins primaires (le SOS prévoit que cet établissement public intègre l’ensemble des structures de santé sans hébergement de l’actuelle direction de la Santé à Tahiti et dans les archipels, leurs moyens, et la mutualisation de leurs équipes). Il s'agit d'aborder le patient d'une façon complètement différente de ce qu'on a l'habitude de faire ici ou ailleurs d'ailleurs.
Par exemple, si un patient vient voir un médecin car il a un bobo à la jambe, le médecin peut soigner le bobo et lui donner une ordonnance. Mais il faut une prise en charge globale pour déterminer l'origine du bodo à la jambe : est-il dû au surpoids, à des troubles circulatoires, à un diabète?.. Il faut avoir une prise en charge globale du patient en ce qui concerne son mode de vie, son alimentation, son environnement à la maison ou au travail… C'est une attitude qu'il va falloir inculquer progressivement dans la population pour qu'on puisse faire la prévention de ces maladies qui sont acquises par le mode de vie notamment.
C'est une source non négligeable d'économies, mais qui ne vont pas être immédiates.

La suppression du fonds de prévention en 2010 avait été regrettée par le nouveau schéma d'organisation sanitaire. L'Etablissement pour la prévention (Epap) avait été supprimé. Le remettre en place serait-il utile ?
"L'Epap recevait directement les produits des taxes sur les boissons sucrées, les alcools, le tabac, etc. Il définissait ensuite ses actions. C'est au niveau de ses actions en quelque sorte qu'il y a eu peut être un manque de visibilité et de définition préalable d'une politique de santé de prévention. Quand l'Epap était en place, c’était un catalogue de mesures diverses et variées souvent préparées par des associations. On confiait à des associations l'organisation ponctuelle d'actions de prévention. Les actions ponctuelles n'ont qu'une portée très limitée c'est la raison pour laquelle le politique a voulu reprendre ses établissements en confiant à la santé publique le soin d'établir les mesures nécessaires."


Rédigé par Mélanie Thomas le Mercredi 8 Février 2017 à 17:00 | Lu 4853 fois