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Poutous sur le popotin : une satire de la société océanienne drolatique et efficace


PAPEETE, le 6 septembre 2016 - Sur fond de troisième millénaire, dans une "ambiance de carnaval" - autrement dit de "joyeux bordel" – nous voilà embarqués par cet auteur océanien, Epeli Hau’ofa, dans un cas d’école médical des plus improbables avec un défilé de chamans, sorciers, prophètes et autres charlatans sur la petite île imaginaire de Tipota. Des aventures épiques, explosives, hautes en couleurs et…pétaradantes, en somme une "histoire de fesses" pas comme les autres, les cinq sens en éveil… Amusant et cocasse, offrant un contraste saisissant avec la société pieuse de Tonga.

"À six heures, Oilei ouvrit les yeux et grimaça : il avait un goût infect dans la bouche. Allongée à ses côtés, Makarita lui ronflait dans la figure, comme elle avait l’habitude de le faire depuis vingt-deux ans qu’ils étaient mariés. Ecœuré par l’haleine de son épouse, Oilei changea de position et largua une détonation aussi surprenante que soutenue, connue sous le nom de ‘poufpouf’ en langue tipotienne, sauf que, dans ce cas précis, elle ressemblait plus à une pétarade de moto qu’on essaie de démarrer au kick."

Poutous sur le Popotin commence fort avec ces lignes – et c’est peu dire. Mais quelle est cette farce ? Un véritable ouvrage publié par la maison d’édition Au Vent des îles ou bien un canular ? Ce roman fait partie de ces "ovnis littéraires", dont l’intrigue s’inspire pourtant d’un événement improbable mais avéré : en 1983, un militant et auteur maori devient célèbre pour avoir exécuté un ‘whakapohane’ (rituel d’insulte où l’on montre ses fesses nues en signe de protestation – oui, vous avez bien lu !). Ce geste irrévérencieux mais hautement symbolique d’une contestation politique donne le ton de ce roman où s’entremêle récit en dessous de la ceinture et grande Histoire. Grossier mais poétique, et fichtrement pertinent.

Un vaudeville d’apparence, en "quête d’arômes spirituels"

Sans détour, le lecteur se retrouve propulsé dans une farandole de personnages, plus loufoques les uns que les autres : Oilei Bomboki, ancien boxeur victime de fistules annales ; Makarita, sa tendre et véloce épouse quelque peu sado-maso ; Bulbul Bohut, meilleur ami d’Oilei, eux-mêmes entourés d’une myriade de guérisseurs aux talents variés. Citons parmi eux Losana Tonoka, nymphomane devenu chaste ; Domoni Thimailomalangi, chaman à la conque magique ; Amini Sese, sorcier sous carapace ; ‘Ah tiens’, acuponcteur de son état ou encore Seru Draunikau, grand spécialiste des plantes devant l’Eternel et enfin Babu Vivekanand, grand théoricien de l’Anus Eternel. Chaque guérisseur y va de son traitement saugrenu, censé "profiter à l’humanité entière" et ainsi révolutionner les sciences médicales au même titre que les travaux de Newton et de Pasteur réunis (sans avoir peur des comparaisons). On y parle de WC, de pet professoral, de trafics en tout genre (du gin au ginseng), et la surenchère entre les réputations des différents ‘dottores’ au fil de l’histoire monte en puissance, laissant le lecteur -pardonnez-nous du peu- "sur le cul".

Avec un vocabulaire hallucinant, aussi imagé que ‘chiadé’, nous sommes face à d’exquises métaphores : lorsque les narines sont comparées à des "portes-jumelles du paradis" ou à des "débouchés du parfum de l’âme", on s’en délecte ! Ces descriptifs épicuriens des corps tipotiens (habitants de l’île fictive de Tipota) sont un véritable délice pour ceux qui voudront (oseront ?) se frotter à l’exercice de la lecture de Poutous sur le popotin.

Un portrait remarquablement drôle et acide des nations insulaires

Par le prisme d’une farce triviale, Epeli Hau’ofa évoque des sujets on ne peut plus sérieux tels que la guerre dans le monde, le nucléaire, les relations internationales, les tabous des sociétés du Pacifique, et… le yoga. Il fustige ces sociétés dans lesquelles patients et malades se retrouvent à la merci de charlatans à cause d’un système de santé publique exécrable, incapable et inefficace. Sans complaisance, l’auteur jongle merveilleusement bien entre considérations d’apparence basses via l’humour, pour mieux faire passer sa critique de la société au vitriol. On nous demande d’arrêter pour une fois de nous regarder le nombril, mais bien plutôt de scruter notre arrière-train.

Une chose est sûre, en refermant ce livre, si vous êtes plutôt du genre à être victime de problèmes digestifs, vous y trouverez pour sûr une solution selon vos préférences (et il y a le choix). Excentrique et tonitruant à souhait. Malgré les avertissements de la préface, cap ou pas cap de vous laisser embarquer dans l’aventure ?

Un universitaire tongien à contre-emploi
Fameux chercheur océanien en sciences sociales, Epeli Hau’ofa s’exerce à un style décoiffant : une satire de société plus redoutable encore qu’un essai dénonciateur. Pas moins que sous-secrétaire particulier du Roi de Tonga de 1978 à 1981, puis rejoignant à cette date l'Université du Pacifique Sud, il fonde et dirige en 1997 le Centre de l'Océanie pour les Arts et la Culture. En 1983, c’est à travers son premier roman, Tales of the Tikongs, (Les petits contes du Pacifique - Traduit par E. Benguigui, éditions de l’Aube,2006), que débute sa plume acérée et redoutablement efficace.
Puis la publication de We are the Ocean : selected works, University of Hawai’i Press, 2008 (traduits et morcelés en Notre mer d’îles, L’océan est à nous et Un passé à recomposer (Pacific Islanders Editions, mars 2015), il esquisse un projet dévoué à la préservation de l’Océan Pacifique comme socle d’identité régionale, ce qui lui a valu d’ailleurs d’être considéré comme LE penseur océanien contemporain. Presque totalement et injustement inconnu en Polynésie française, Au vent des îles a donc tenu à traduire son roman majeur afin de le faire connaître et de lui rendre hommage après son décès en 2009.

Rédigé par Au Vent des îles le Mardi 6 Septembre 2016 à 15:12 | Lu 1500 fois