Un câble qui nous relierait au Chili permettrait de remplir immédiatement Honotua avec du trafic venant d'Amérique du Sud, et nous positionnerait immédiatement pour de nouveaux tronçons vers la Chine et le Japon.
PAPEETE, 20 janvier 2016 - (La première version de cet article annonçait un budget de 300 millions de dollars pour le projet de câble Moana, porté par Bluesky Pacific Group et Alcatel. L'entreprise nous communique que le prix est en fait de 150 millions de dollars pour le segment Nouvelle-Zélande-Hawaii, sans les extensions éventuelles. Le projet deux fois plus cher est le câble Hawaiki.)
Avec l'explosion des échanges de données sur internet, les besoins en infrastructures augmentent de façon constante. Dans le Pacifique, la liaison Asie-Amérique du Sud fourmille de projets. Tahiti serait en position stratégique pour en bénéficier, mais a raté plusieurs fois le coche... Cependant, plusieurs options restent sur la table.
Plus de huit câbles sous-marins sont en cours de construction ou en projet dans le Pacifique. Un seul se propose de venir jusqu'à Tahiti, et encore, uniquement avec un tronçon de raccordement supplémentaire destiné aux "petites îles du Pacifique" dont les Cook, Niue, Tokelau et les Tonga. Nommé Moana, ce câble Nouvelle-Zélande-Samoa-Hawaii est un projet de 150 millions de dollars que la Polynésie française pourrait intégrer pour quelques milliards de francs. Les détails d'une éventuelle participation polynésienne devraient être officiellement présentés au gouvernement en février prochain, mais le projet intéresse déjà l'OPT. Il permettrait de sécuriser notre connexion au réseau mondial, mais avec un handicap : il ne remplirait pratiquement pas Honotua avec du nouveau trafic. En effet, les débits venant des îles du Pacifique, même de Nouvelle-Zélande, sont trop faibles pour nécessiter trois lignes jusqu'à Hawaii… Un tel projet serait donc, encore une fois, à la charge des internautes polynésiens.
Par ailleurs, il ne sert pas du tout les grandes ambitions du gouvernement, qui voudrait que la Polynésie devienne le centre névralgique du web dans le Pacifique sud. Selon un rapport d'experts commandé par le ministère de l'Économie (mais pas rendu public), un câble qui nous relierait au Chili permettrait de remplir immédiatement Honotua avec du trafic venant d'Amérique du Sud, et nous positionnerait immédiatement pour de nouveaux tronçons vers la Chine et le Japon, afin de créer la première liaison directe entre ces deux grands continents, moteurs de la croissance mondiale. Cela permettrait de rentabiliser immédiatement Honotua, cet investissement de 9 milliards de francs, tout en sécurisant sa connexion.
Dans cet éventuel futur numérique qui semble presque utopique, Tahiti serait relié à Hawaii, Santiago et l'Asie, le prix des abonnements locaux s'effondrerait, les débits seraient complètement débridés et une vraie économie du numérique pourrait se développer en Polynésie… Imaginez des fermes de serveurs écolos, alimentés en électricité solaire et refroidis par des SWAC, qui abreuveraient les trois continents de services web innovants et créeraient des milliers d'emplois très qualifiés dans nos îles…
Un des avantages de cette hypothèse est que l'OPT pourrait apporter Honotua comme sa participation dans une co-entreprise internationale et ainsi ne pas débourser un franc dans de nouvelles infrastructures. Un plan qui nécessiterait d'abandonner une partie du contrôle polynésien sur le câble sous-marin Tahiti-Hawaii, dans l'espoir de booster le développement de l'économie numérique locale.
Contrôle privé ou public ?
Sauf que tous les projets de câbles qui se sont présentés devant le gouvernement polynésien depuis 2010 sont portés par des consortiums privés et des gouvernements étrangers, et ils ont tous buté sur un obstacle de taille : le gouvernement polynésien. Comme nous l'explique une source dans l'administration tenant à rester anonyme, "les opérateurs sud-américains et asiatiques sont très intéressés, la Présidence a des contacts avec eux. Mais on est obligé de prendre le leadership sur ce projet parce qu'on ne peut pas laisser le privé prendre le contrôle. On doit maîtriser les tuyaux ou on risque de se retrouver avec un câble hors contrôle de toute régulation." Une position confirmée par Teva Rohfritsch, qui souligne qu'aucun pays développé n'a entièrement abandonné le contrôle de ces infrastructures hautement stratégiques au secteur privé.
La Polynésie se refuse donc à adhérer à un projet entièrement contrôlé par des consortiums privés, un modèle qui se répand pourtant de plus en plus dans le secteur, sur les itinéraires déjà bien desservis (États-Unis-Asie ou États-Unis-Europe). Mais les gouvernements gardent pour l'instant leur mot à dire quand il s'agit de seule connexion au reste du monde. C'est ainsi que le South America Pacific Link, poussé par les gouvernements sud-américains et financé par leurs différents opérateurs, va longer la côte Pacifique du continent latin pour relier Hawaii, et ainsi créer un nouvel itinéraire numérique en plus de ceux longeant la côte Atlantique. Un projet concurrent – et enterré suite aux non-réponses de nos gouvernements successifs – aurait voulu relier le Chili à Tahiti puis à l'Australie ou la Chine, raccorder l'île de Pâques en passant, et profiter de Honotua pour attraper Hawaii. Pour le coup, une vraie occasion manquée pour la Polynésie…
Mobiliser les investisseurs internationaux
À la place, il faudra donc attendre un projet polynésien qui puisse convaincre les investisseurs internationaux. Car un câble transpacifique serait beaucoup plus cher que Honotua, et cette fois l'OPT ne pourrait pas faire cavalier seul, car que les seuls capables de remplir ce nouveau câble avec du trafic sont les gros opérateurs internet ayant des millions de clients. C'est ce trafic, qui sera facturé aux opérateurs partenaires, qui génèrera du chiffre d'affaires et permettra de rentabiliser ces nouveaux câbles sur le long terme. C'est d'ailleurs le manque de trafic qui a augmenté de façon considérable le coût de Honotua, une faiblesse dont l'OPT et le gouvernement ont bien conscience.
Une source dans l'industrie, elle, ne croit pas du tout dans les capacités du Pays à lancer un tel projet : "Tous les grands scénarios est-ouest ne sont plus à notre portée, plus personne ne veut entrer dans un projet de la Polynésie après les coups qu'on a fait sur le projet SPIN, qui devait nous relier à Nouméa, ou sur les projets chiliens. Le seul projet réaliste est celui de Bluesky [le câble Moana, NDLR], via les Cook, mais il faudrait encore que quelqu'un prenne la main à l'OPT. Surtout, cela ne va pas du tout aider à faire baisser les prix…"
Teva Rohfritsch, ministre de l'Économie numérique, est de son côté confiant sur les différents scénarios. Malgré tout, il explique que des études, consultations et prises de contacts avec des entreprises internationales sont encore en cours. Aucune annonce ne sera donc faite dans les mois qui viennent, mais une décision sur un éventuel deuxième câble pourrait être prise avant la fin de l'année.
Avec l'explosion des échanges de données sur internet, les besoins en infrastructures augmentent de façon constante. Dans le Pacifique, la liaison Asie-Amérique du Sud fourmille de projets. Tahiti serait en position stratégique pour en bénéficier, mais a raté plusieurs fois le coche... Cependant, plusieurs options restent sur la table.
Plus de huit câbles sous-marins sont en cours de construction ou en projet dans le Pacifique. Un seul se propose de venir jusqu'à Tahiti, et encore, uniquement avec un tronçon de raccordement supplémentaire destiné aux "petites îles du Pacifique" dont les Cook, Niue, Tokelau et les Tonga. Nommé Moana, ce câble Nouvelle-Zélande-Samoa-Hawaii est un projet de 150 millions de dollars que la Polynésie française pourrait intégrer pour quelques milliards de francs. Les détails d'une éventuelle participation polynésienne devraient être officiellement présentés au gouvernement en février prochain, mais le projet intéresse déjà l'OPT. Il permettrait de sécuriser notre connexion au réseau mondial, mais avec un handicap : il ne remplirait pratiquement pas Honotua avec du nouveau trafic. En effet, les débits venant des îles du Pacifique, même de Nouvelle-Zélande, sont trop faibles pour nécessiter trois lignes jusqu'à Hawaii… Un tel projet serait donc, encore une fois, à la charge des internautes polynésiens.
Par ailleurs, il ne sert pas du tout les grandes ambitions du gouvernement, qui voudrait que la Polynésie devienne le centre névralgique du web dans le Pacifique sud. Selon un rapport d'experts commandé par le ministère de l'Économie (mais pas rendu public), un câble qui nous relierait au Chili permettrait de remplir immédiatement Honotua avec du trafic venant d'Amérique du Sud, et nous positionnerait immédiatement pour de nouveaux tronçons vers la Chine et le Japon, afin de créer la première liaison directe entre ces deux grands continents, moteurs de la croissance mondiale. Cela permettrait de rentabiliser immédiatement Honotua, cet investissement de 9 milliards de francs, tout en sécurisant sa connexion.
Dans cet éventuel futur numérique qui semble presque utopique, Tahiti serait relié à Hawaii, Santiago et l'Asie, le prix des abonnements locaux s'effondrerait, les débits seraient complètement débridés et une vraie économie du numérique pourrait se développer en Polynésie… Imaginez des fermes de serveurs écolos, alimentés en électricité solaire et refroidis par des SWAC, qui abreuveraient les trois continents de services web innovants et créeraient des milliers d'emplois très qualifiés dans nos îles…
Un des avantages de cette hypothèse est que l'OPT pourrait apporter Honotua comme sa participation dans une co-entreprise internationale et ainsi ne pas débourser un franc dans de nouvelles infrastructures. Un plan qui nécessiterait d'abandonner une partie du contrôle polynésien sur le câble sous-marin Tahiti-Hawaii, dans l'espoir de booster le développement de l'économie numérique locale.
Contrôle privé ou public ?
Sauf que tous les projets de câbles qui se sont présentés devant le gouvernement polynésien depuis 2010 sont portés par des consortiums privés et des gouvernements étrangers, et ils ont tous buté sur un obstacle de taille : le gouvernement polynésien. Comme nous l'explique une source dans l'administration tenant à rester anonyme, "les opérateurs sud-américains et asiatiques sont très intéressés, la Présidence a des contacts avec eux. Mais on est obligé de prendre le leadership sur ce projet parce qu'on ne peut pas laisser le privé prendre le contrôle. On doit maîtriser les tuyaux ou on risque de se retrouver avec un câble hors contrôle de toute régulation." Une position confirmée par Teva Rohfritsch, qui souligne qu'aucun pays développé n'a entièrement abandonné le contrôle de ces infrastructures hautement stratégiques au secteur privé.
La Polynésie se refuse donc à adhérer à un projet entièrement contrôlé par des consortiums privés, un modèle qui se répand pourtant de plus en plus dans le secteur, sur les itinéraires déjà bien desservis (États-Unis-Asie ou États-Unis-Europe). Mais les gouvernements gardent pour l'instant leur mot à dire quand il s'agit de seule connexion au reste du monde. C'est ainsi que le South America Pacific Link, poussé par les gouvernements sud-américains et financé par leurs différents opérateurs, va longer la côte Pacifique du continent latin pour relier Hawaii, et ainsi créer un nouvel itinéraire numérique en plus de ceux longeant la côte Atlantique. Un projet concurrent – et enterré suite aux non-réponses de nos gouvernements successifs – aurait voulu relier le Chili à Tahiti puis à l'Australie ou la Chine, raccorder l'île de Pâques en passant, et profiter de Honotua pour attraper Hawaii. Pour le coup, une vraie occasion manquée pour la Polynésie…
Mobiliser les investisseurs internationaux
À la place, il faudra donc attendre un projet polynésien qui puisse convaincre les investisseurs internationaux. Car un câble transpacifique serait beaucoup plus cher que Honotua, et cette fois l'OPT ne pourrait pas faire cavalier seul, car que les seuls capables de remplir ce nouveau câble avec du trafic sont les gros opérateurs internet ayant des millions de clients. C'est ce trafic, qui sera facturé aux opérateurs partenaires, qui génèrera du chiffre d'affaires et permettra de rentabiliser ces nouveaux câbles sur le long terme. C'est d'ailleurs le manque de trafic qui a augmenté de façon considérable le coût de Honotua, une faiblesse dont l'OPT et le gouvernement ont bien conscience.
Une source dans l'industrie, elle, ne croit pas du tout dans les capacités du Pays à lancer un tel projet : "Tous les grands scénarios est-ouest ne sont plus à notre portée, plus personne ne veut entrer dans un projet de la Polynésie après les coups qu'on a fait sur le projet SPIN, qui devait nous relier à Nouméa, ou sur les projets chiliens. Le seul projet réaliste est celui de Bluesky [le câble Moana, NDLR], via les Cook, mais il faudrait encore que quelqu'un prenne la main à l'OPT. Surtout, cela ne va pas du tout aider à faire baisser les prix…"
Teva Rohfritsch, ministre de l'Économie numérique, est de son côté confiant sur les différents scénarios. Malgré tout, il explique que des études, consultations et prises de contacts avec des entreprises internationales sont encore en cours. Aucune annonce ne sera donc faite dans les mois qui viennent, mais une décision sur un éventuel deuxième câble pourrait être prise avant la fin de l'année.
Les projets de câbles dans le Pacifique
En 2013, les câbles sous-marins mondiaux ont transporté 51 milliards de Go de données par mois. D'ici 2017, le chiffre devrait monter à 123 milliards de Go. Autant dire que la construction de nouveaux câbles va bon train, à coup de centaines de millions de dollars. Mais bizarrement, à part Moana qui en parle "en passant", aucun ne veut passer par Tahiti :
Le South America Pacific Link (SAPL) reliera le Chili à l'Équateur, au Panama, puis à la Floride et à Hawaii. Ce projet permettra de connecter l'Amérique du Sud à l'Asie-Pacifique sans passer par les réseaux "embouteillés" de l'Amérique du Nord, et créera un deuxième itinéraire vers la Californie. Ce projet était en concurrence avec un autre projet qui devait relier le Chili à l'Australie ou à l'Asie, en passant par l'île de Pâques et Tahiti. Mais sans réactions de la part du gouvernement polynésien, le projet par le Pacifique Sud semble avoir été abandonné.
Les projets Moana (de Bluesky et Alcatel-Lucent), Hawaiki et APX Est sont trois projets privés concurrents pour créer de nouvelles capacités sur l'axe Australie, Nouvelle-Zélande, Hawaii et États-Unis, avec des branches pour relier diverses îles sur la route. Le projet qui l'emportera devrait sortir de terre en 2017 ou 2018, et un seul propose un éventuel tronçon supplémentaire jusqu'à Tahiti : Moana.
FASTER sera livré en avril 2016, il connectera la côte ouest américaine directement au Japon et à Taiwan. Parmi ses financeurs (tous privés) on retrouve Google, qui souhaite augmenter la rapidité de ses services web pour ses clients asiatiques.
New Cross Pacific (NCP) : encore un projet de connexion directe entre les États-Unis et l'Asie, soutenu par un consortium international incluant un autre géant des nouvelles technologies, Microsoft.
SEA-US, livré fin 2016, reliera les Philippines, l'Indonésie, Guam et Hawaii jusqu'à la Californie, pour 250 millions de dollars.
Le Pacific Regional Connectivity Program de la Banque mondiale finance plusieurs câbles sous-marins pour relier les petits états du Pacifique Sud au web mondial. Un câble entre Tonga et Fidji a ainsi été construit en 2013. Un autre projet, déjà financé, sera un câble entre les Samoa et Fidji. Un dernier projet, déjà décidé pour ce programme, reliera Palau, la Micronésie et Guam pour une construction fin 2016. Pour ces projets, Fidji est le hub de prédilection au lieu de la Polynésie car l'archipel dispose de l'infrastructure nécessaire et de plusieurs câbles le reliant déjà au reste du monde.
En 2013, les câbles sous-marins mondiaux ont transporté 51 milliards de Go de données par mois. D'ici 2017, le chiffre devrait monter à 123 milliards de Go. Autant dire que la construction de nouveaux câbles va bon train, à coup de centaines de millions de dollars. Mais bizarrement, à part Moana qui en parle "en passant", aucun ne veut passer par Tahiti :
Le South America Pacific Link (SAPL) reliera le Chili à l'Équateur, au Panama, puis à la Floride et à Hawaii. Ce projet permettra de connecter l'Amérique du Sud à l'Asie-Pacifique sans passer par les réseaux "embouteillés" de l'Amérique du Nord, et créera un deuxième itinéraire vers la Californie. Ce projet était en concurrence avec un autre projet qui devait relier le Chili à l'Australie ou à l'Asie, en passant par l'île de Pâques et Tahiti. Mais sans réactions de la part du gouvernement polynésien, le projet par le Pacifique Sud semble avoir été abandonné.
Les projets Moana (de Bluesky et Alcatel-Lucent), Hawaiki et APX Est sont trois projets privés concurrents pour créer de nouvelles capacités sur l'axe Australie, Nouvelle-Zélande, Hawaii et États-Unis, avec des branches pour relier diverses îles sur la route. Le projet qui l'emportera devrait sortir de terre en 2017 ou 2018, et un seul propose un éventuel tronçon supplémentaire jusqu'à Tahiti : Moana.
FASTER sera livré en avril 2016, il connectera la côte ouest américaine directement au Japon et à Taiwan. Parmi ses financeurs (tous privés) on retrouve Google, qui souhaite augmenter la rapidité de ses services web pour ses clients asiatiques.
New Cross Pacific (NCP) : encore un projet de connexion directe entre les États-Unis et l'Asie, soutenu par un consortium international incluant un autre géant des nouvelles technologies, Microsoft.
SEA-US, livré fin 2016, reliera les Philippines, l'Indonésie, Guam et Hawaii jusqu'à la Californie, pour 250 millions de dollars.
Le Pacific Regional Connectivity Program de la Banque mondiale finance plusieurs câbles sous-marins pour relier les petits états du Pacifique Sud au web mondial. Un câble entre Tonga et Fidji a ainsi été construit en 2013. Un autre projet, déjà financé, sera un câble entre les Samoa et Fidji. Un dernier projet, déjà décidé pour ce programme, reliera Palau, la Micronésie et Guam pour une construction fin 2016. Pour ces projets, Fidji est le hub de prédilection au lieu de la Polynésie car l'archipel dispose de l'infrastructure nécessaire et de plusieurs câbles le reliant déjà au reste du monde.