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Les baleines, des mastodontes sensibles et fragiles


Les baleines, des mastodontes sensibles et fragiles
PAPEETE, le 13 août - La première observation de baleine à bosse a été consignée le 31 mai dernier. Depuis, pas un jour ne passe sans qu'une photo ou une vidéo des cétacés ne soit postée sur les réseaux sociaux. Les hommes vont à la rencontre des belles des eaux, et vice-versa. Les sorties baleines démarrent avec les professionnels, l'occasion de faire un point biologique, législatif et réglementaire.

Une sortie baleine commence par un briefing : la baleine, sa vie, son œuvre. Suivons l'exemple. Les mammifères marins quittent l'Antarctique direction la Polynésie pour mettre bas et pour se reproduire. Femelles, mâles et baleineaux des années précédentes sont du voyage. Les premiers animaux arrivent courant juin, les derniers repartent en novembre, en général. "Il y a bien sûr des exceptions", nuance Baptiste, capitaine chez Fluid, club de plongée. "Il m'est déjà arrivé de voir une baleine le 18 décembre."

Les cétacés parcourent 6 000 kilomètres en un mois environ. À la question, pourquoi une telle migration ? Baptiste répond : "Parce que dans les eaux froides il y a de très nombreux prédateurs; que les conditions ne sont pas idéales pour mettre bas, l'eau est notamment très froide et, enfin, parce qu'il y a moins de nourriture/ pendant l'hiver austral les krills, ces petites crevettes dont se gavent les baleines, plongent dans les profondeurs." De ce fait, les cétacés préfèrent traverser le Pacifique plutôt que de rester en zone polaire. "Du point de vue énergétique, ils sont gagnants."

Les hommes contemplent

Pendant leur séjour, mâles et femelles jeûnent. Les baleineaux, eux, grossissent à vue d'œil. Les femelles protègent et éduquent leur petit tandis que les mâles se battent, harcèlent les femelles, menacent les nouveau-nés. En surface, les hommes contemplent.

Le whale watching (observation des baleines) est une activité assez récente en Polynésie française. Elle a moins d'une dizaine d'années. Depuis, l'attrait pour les grands mammifères marins ne cesse de grandir. Le nombre de professionnels se multiplie sur l'eau. Pas moins de 34 sociétés sont agréées (elles étaient 23 en 2014). Le nombre d'embarcations privées augmente lui aussi à vitesse grand V. "Avant, il y a encore trois ou quatre ans, on voyait trois ou quatre bateaux de particuliers sortir durant le week-end, maintenant on en compte une bonne quinzaine", constate la biologiste marin Agnès Benet. Ce qui n'est pas un mal en soit, à condition que les approches se fassent dans de bonnes conditions. "Sans quoi notre réglementation finira par ressembler à celle de nos voisins, la Nouvelle-Calédonie, les îles Tonga, etc. Là-bas, la mise à l'eau n'est pas autorisée." Dans le monde, il n'existerait que sept endroits où la mise à l'eau serait autorisée si l'on en croit Baptiste.

Des règles fondées

La règlementation relative à l'observation et la protection des cétacés date de 2002. Elle évolue au fil du temps. "Aujourd'hui les capitaines et les accompagnateurs dans l'eau doivent être formés", cite en exemple Agnès Benet. Concernant l'approche à proprement parlé les bateaux sont censés rester à 50 mètres des baleines, 100 mètres lorsque celles-ci sont accompagnées de leur baleineau. Dans l'eau, les hommes ne peuvent pas se trouver à moins de 30 mètres des animaux. Ces règles ne sont pas sans fondement. "Les distances d'approche, pour reprendre cet exemple, ont été établies pour ne pas importuner les animaux, les femelles épuisées doivent nourrir leur petit et faire face aux harcèlements des mâles. Dans ces conditions mieux vaut éviter une pression supplémentaire", souligne Agnès Benet qui ajoute : "il ne faut surtout pas que les petits se familiarisent à la présence des hommes car, en zone polaire, il reste des chasseurs. Si les premiers humains que le nouveau-né rencontre se montrent amicaux, le baleineau n'apprendra pas à fuir devant le danger." D'autres règles existent. Elles sont notamment disponibles sur le site de la Direction de l'environnement.

Un double bus avec accordéon

La baleine à bosse n'est pas le plus grand et le plus gros des animaux, c'est l'un des plus grands et des plus gros. Devant elle se trouve notamment la baleine bleue avec ses 33 mètres de long et ses 190 tonnes. Pour autant la baleine à bosse affiche des mensurations et des capacités remarquables.
Elle mesure entre 12 et 18 mètres et pèse entre 25 et 45 mètres. Pour prendre la mesure de ces chiffres vous pouvez comparer une baleine de 18 mètres qui pèserait 45 tonnes à un double bus, de ceux qui sont reliés par un accordéon en leur centre.
Elle réalise des apnées de 15 à 45 minutes et peut descendre jusqu'à 20 mètres de profondeur.
Elle navigue, en cours de migration, à une vitesse moyenne de 120 kilomètres par jour.
Elle atteint sa maturité sexuelle autour de 5 ans, porte un seul baleineau (sauf exception) pendant un an.
Un baleineau pèse 1 tonne à la naissance. Il grossit d'environ 30 à 50 kg par jour.
La baleine perd environ 10 tonnes pendant son séjour polynésien.

Interview Agnès Benet, biologiste marin

Qui êtes-vous Agnès Benet ?
"Je suis biologiste marin. J'ai un bureau d'études, le Progem pour Protection et gestion des écosystèmes marins. Je travaille sur le corail, le changement climatique et sur les mammifères marins. J'étudie notamment l'impact du whale watching sur les baleines et dauphins. Je suis aussi présidente de l'association Mata Tohora qui signifie l'œil de la baleine et avec laquelle je fais de la sensibilisation. Nous sommes sur l'eau à la saison d'observation des mammifères marins et allons à la rencontre des professionnels et du public sur les bateaux."

Quels sont les conclusions de votre étude sur l'impact whale watching?
"Il est encore trop tôt pour le dire. J'ai commencé cette étude à la demande du Pays en 2008 alors que l'activité de whale watching démarrait tout juste en Polynésie. Depuis je passe de nombreuses journées sur l'eau dès l'aube ou presque avant que le public n'arrive jusqu'à tard dans la journée après que les observateurs soient partis. Il est évident que les baleines et leur baleineau n'ont, le plus souvent, pas le même comportement avec ou sans la présence des hommes. Les mères sont souvent en profondeur et les nouveau-nés sont plutôt calmes, ils ne jouent pas comme ils le font quand il n'y a plus de bateaux. Pour autant, des observations sont toujours possibles et quand elles sont bien faites, les cétacés ne semblent pas gênés outre mesure. Notre étude montre que ce n'est pas le nombre de bateaux sur place ou d'hommes à la mer qui dérangent les animaux, ce sont les comportements. Un seul homme qui se déplace trop rapidement ou qui prend la mauvaise direction peut faire fuir les cétacés alors que nous avons déjà vu jusqu'à une dizaine d'embarcations rester autour d'une seule baleine avec son baleineau pendant des dizaines de minutes."

Quels sont les signes d'agacement des baleines?
"En tout premier lieu la fuite bien sûr, la progression avec changements de direction incessants et le plongeon vers les profondeurs. On dit alors que la baleine sonde. Quand la pression est trop forte, qu'il s'agisse d'un homme ou bien d'un congénère mâle d'ailleurs, la baleine peut aussi frapper sur l'eau avec sa nageoire caudale. C'est joli, certes, mais c'est le signe qu'il faut la laisser."




Rédigé par Delphine Barrais le Jeudi 13 Août 2015 à 17:30 | Lu 1990 fois