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"L'outrage du silence" : Manahau à la reconquête de la langue tahitienne


Dans son nouveau spectacle, la troupe Manahau invite les Polynésiens à se réapproprier leur langue.
Dans son nouveau spectacle, la troupe Manahau invite les Polynésiens à se réapproprier leur langue.
PAPEETE, le 7 octobre 2015 - La troupe de danse Manahau, dirigée par Jean-Marie Biret, présentera son nouveau spectacle les 14 et 16 octobre, au Grand Théâtre de la Maison de la Culture. "L'outrage du silence" met en exergue un thème qui est cher à son auteur et concerne toute la communauté océanienne : la défense de la langue tahitienne.


Sommes-nous prêts à voir notre langue tahitienne disparaître dans vingt ans ou n'être parlée que par une élite ? Tel est le postulat de départ qui a incité Jean-Marie Biret à partir à la reconquête du reo Tahiti, au nom des générations futures et avant qu'il ne soit trop tard. "L’outrage du silence" est né d’une conversation entre le chef du groupe de danse Manahau, fondé en 2002, et ses danseurs, alors qu’ils réfléchissaient au thème de leur futur spectacle. La prise de conscience des jeunes de la troupe a été sans appel. Les artistes ont bien été forcés de reconnaître leurs regrets de ne pas toujours savoir bien parler leur propre langue. Lors de leurs déplacements dans le Pacifique, ils ont pu constater au contraire l’expression naturelle dans leur langue des autres jeunes, qui s’exprimaient de manière spontanée, engagée.

Sur une photo qui fait la promotion du spectacle, on voit une vahine qui tient dans sa main un coquillage. Jean-Marie Biret explique la symbolique : "Á une certaine époque, les élèves étaient punis s'ils parlaient tahitien à l'école. Et le jeu des enfants était ensuite de se faire passer un coquillage ; le dernier qui l'avait dans la main avait alors le bonnet d'âne." Le directeur de Manahau note encore : "La pratique du reo Tahiti a été interdite, comme le tatouage, comme la danse… Mais nous voyons aujourd'hui combien ces arts se sont réinstallés dans notre quotidien." Dans ce sens, Manahau se fait porteur d'un message d'espoir et de tendresse. Ainsi est né "L’outrage du silence", fruit d'un travail de plusieurs mois, qui a nécessité la mobilisation des danseurs et suscité beaucoup d'émotions de la part de son auteur, au fil de la conception de son nouveau spectacle, dont la mise en scène promet d'être originale. Les textes ont été revus en tahitien par Jean-Marius Raapoto.

DU 'ORI TAHITI DANSÉ SUR DU REGGAE !

Cette défense poignante de la langue sera portée par une quarantaine d'artistes (dont vingt musiciens) sur les planches du Grand Théâtre de la Maison de la Culture. Sur scène, des chanteurs de grande qualité, comme Guillaume Matarere ou Jason Tahi, accompagneront vingt danseurs et danseuses, tandis que les musiques classiques (notamment de l'accordéon, comme dans le Heiva d'antan) seront livrées par de talentueux musiciens du fenua, ou encore préparées en studio au Vanuatu. Tito Quai jouera par exemple du reggae sur du 'ori Tahiti !

La première partie de "L'outrage du silence" présentera tout d'abord un ensemble assez sombre, exprimant la colère face au constat de la perte de la langue et s'appuyant sur une frise historique, puis une seconde qui mettra en avant l'engagement positif, l'espoir. Cet "exercice de généalogie" évoque les "tupuna", commente Jean-Marie Biret. "Les ancêtres sont appelés sur scène, puis renvoyés par des chants et des encouragements." Ce mélange des cultures comme la troupe sait si bien le faire, donnera toute son intensité à ce spectacle, qui sera dévoilé le 14 octobre, en avant-première aux étudiants de l’Université de la Polynésie française, ceux de l’école de commerce de Tahiti, ainsi que ceux de l’ISEPP, et au public le 16 octobre.

Jean-Marie Biret : "Le tahitien n'est pas réservé aux poètes ou aux églises"

"Face à la perte de notre langue, je m'interroge… Qu'est-ce qu'on fait ? Faut-il regarder vers le passé ? Ou bien donner envie aux Polynésiens de parler tahitien ? Le reo Tahiti possède un vocabulaire très riche, les mots sont précis et adaptés selon ce qu'on veut dire. Par exemple, pour le coco, il existe plein de termes différents correspondant aux stades de maturité du fruit. J'aime la langue tahitienne, et nous nous devons de l'enrichir encore. Les jeunes semblent parler de moins en moins, mais comme la danse ou le tatouage, il y a lieu d'espérer un renouveau. Le problème majeur est l'inhibition, la honte de ne pas s'exprimer suffisamment bien. Mais faut-il exiger l'excellence, le tahitien n'est pas réservé aux poètes ou aux églises et autres instances religieuses. Nous sommes libres ! C'est en parlant qu'on progresse, il faut pratiquer, ne pas culpabiliser et dépasser la culture de l'apparence."

Infos pratiques

Avant-première réservée aux étudiants (sur invitation uniquement) :
Mercredi 14 octobre, à 18 heures

Représentation publique :
Vendredi 16 octobre, à 19h30
Tarifs : 2 500 Fcfp ; 2 000 Fcfp (enfants moins de 12 ans et étudiants)

Grand Théâtre

Renseignements au 40 54 45 44 ou 89 501 589

www.maisondelaculture.pf://

Le coquillage, symbole d'une certaine époque où les élèves étaient punis s'ils parlaient tahitien.
Le coquillage, symbole d'une certaine époque où les élèves étaient punis s'ils parlaient tahitien.
Extraits du spectacle

"Des mots pour dire nos pensées, pour tisser des amitiés.
Des chants pour nous rappeler nos histoires et nos savoir-faire.
Des regards qui traduisent des sentiments, des réponses à des mystères.
Des majuscules pour dire des « importances ».
Des minuscules pour les relier entre elles.
Parler, discuter avec plaisir, dénouer les secrets avec joie.
Des mots pour se dire l’amour, pour dépasser les haines et les rancœurs.
C’est dans l’échange que se construit la pensée, la parole.
Les mots se combinent, se choisissent les uns les autres, comme les filles et les garçons.
Pour construire une phrase, un discours, un témoignage, pour un bouquet de fleurs.
Pour construire une passerelle vers l’autre, rejoindre l’autre rive du ruisseau.
Pour lier l’autrefois au temps d’aujourd’hui, ou encore imaginer l’inaccompli.
Les mots arrangés autrement, dits sur un autre ton se parent d’une autre histoire, d’un autre sentiment, d’une émotion nouvelle. Ils changent de voix, ils se murmurent… chut…
Les mots s’habillent et se déshabillent, s’en vont danser et murmurer dans les herbes, glisser sur les pierres, ou encore parler aux grillons et pleurer le soir venu.
Dans le silence meurt la pensée, s’effondrent les ponts dressés entre les hommes. De grands édifices ont brûlé sous la peur et les non-dits.
Le langage renié, interdit, abandonné, emporte avec lui les savoirs de ces peuples dont il parle.
Le silence étouffe l’esprit des hommes avant qu’ils ne meurent."


"Une culture de l’apparence,
Pour cacher un vide profond,
La disparition de l’être,
L’absence de sens.
Tellement rien à dire,
Que tout s’invente
Tout se travestit, grandiose.
Cela agrandit juste le trou vide
La plaie est béante
Et le vide est là
La connaissance enfouie sous le faste."


Rédigé par Dominique Schmitt le Mercredi 7 Octobre 2015 à 17:46 | Lu 2632 fois