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L'Ordre et la Morale: "ce film est aussi un outil de lutte" (Macky Wea)


L'Ordre et la Morale: "ce film est aussi un outil de lutte" (Macky Wea)
NOUMEA, 19 octobre 2011 (AFP) - "L'ordre et la morale", qui retrace à l'écran la prise d'otages de la grotte d'Ouvéa, est "aussi un outil de lutte" pour les Kanaks, estime Macky Wéa qui incarne son frère, Djubelly Wéa, l'assassin du leader indépendantiste, Jean-Marie Tjibaou.

Le film de Mathieu Kassovitz, en salle mi-novembre, se situe en 1988. Juste avant le premier tour de l'élection présidentielle, 30 gendarmes sont pris en otages par des indépendantistes kanaks. L'opération déclenchée pour les libérer s'achèvera dans un bain de sang avec la mort de deux militaires et 19 Kanaks.

QUESTION: Dans "L'ordre et la morale", vous jouez le rôle de votre propre frère, Djubelly Wéa, ardent partisan de l'indépendance qui a assassiné en 1989 le leader indépendantiste, Jean-Marie Tjibaou. Pourquoi avez-vous accepté ce rôle?

REPONSE: "C'était une grande découverte car bien sûr je ne suis pas acteur. Mais ce qui compte surtout c'est le long travail en amont que Mathieu Kassovitz a fait à partir de 2003. Il a suivi un long chemin coutumier au sein des clans, des familles, des tribus. Nous sommes une société où les décisions se prennent par consensus et il a fallu négocier et discuter longtemps, surmonter les obstacles et les polémiques car tout le monde n'était pas d'accord. J'ai fait ce rôle parce que c'est l'histoire de notre pays et de notre peuple".

Q: A cause de certaines résistances, le film n'a d'ailleurs pas pu être tourné à Ouvéa mais sur la petite île d'Anaa en Polynésie française. Vous le regrettez ?

R: "On peut le regretter mais finalement c'était un bon choix. Le fait d'être à Anaa a permis aux acteurs kanaks de rester totalement concentrés sur le film alors qu'en Nouvelle-Calédonie, il y aurait eu plus de pressions, d'interférences familiales ou claniques. En plus, on a découvert qu'en 1852, lors d'un conflit religieux, des habitants d'Anaa avaient tué un brigadier et étaient allés se cacher dans une grotte, avant d'être finalement pendus !"

Q: Pensez-vous que ce film est fidèle aux faits ?

R: "Lors des premières discussions avec Mathieu Kassovitz, nous n'avions pas la même vision du film. Son projet était très appuyé sur le livre du capitaine Philippe Legorjus +La Morale et l'action+. Nous, nous voulions que ce soit un film kanak, qui reflète notre vision. Quand on est arrivé à Anaa sur le tournage, nous en étions au vingt-quatrième scénario. Les deux visions ont été conciliées, car Mathieu Kassovitz est quelqu'un qui sait écouter, et tenir comptes d'avis différents".

Q: Les habitants d'Ouvéa ont été traumatisés par ces évènements. Qu'en est-il aujourd'hui ?

R: "Dix neuf morts, on ne peut pas oublier comme ça. C'est comme si 30.000 personnes étaient tuées en Métropole. Moi personnellement, dans ma petite tribu de Gossanah au fond de la forêt, je n'aurais jamais imaginé qu'un jour, il y aurait huit Pumas et deux Alouettes sur le terrain de football qui est devant chez moi.

Tous les ans, du 23 avril au 8 mai, on commémore cette tragédie, il y a des cérémonies, des expositions, des témoignages. Les jeunes de Gossanah, même ceux qui sont nés après ces événements, vivent avec cette histoire, nous entretenons la mémoire.

Pour moi, ce film est aussi un outil de lutte car le monde entier va nous connaître et savoir qu'il y a un peuple qui a souffert, qui a subi. J'aimerais que les futures générations s'approprient ce film, y compris celles des autres communautés, qui veulent vivre ici".

cw/jca/ed

Rédigé par Par Claudine WERY le Mardi 18 Octobre 2011 à 21:50 | Lu 1481 fois