PARIS, 21 février 2015 - Jean-Jacques Urvoas, le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, est arrivé à Tahiti dimanche matin pour une mission de dix jours. Objectif : faire le point sur le fonctionnement du statut d’autonomie, onze ans après sa mise en place. Il nous a accordé une interview, quelques heures avant son départ de Paris.
Ces dernières années, l’image de la Polynésie française a beaucoup été associée à l’instabilité politique puis aux affaires politico-judiciaires autour de Gaston Flosse. Aujourd’hui, avez-vous le sentiment que le gouvernement d’Edouard Fritch pourrait permettre de rétablir des relations plus constructives avec l’Etat ?
Jean-Jacques Urvoas : C’est mon souhait. L’Etat a besoin d’interlocuteurs constants. Avec Edouard Fritch et son gouvernement, nous avons des partenaires qui sont pour nous exigeants parce que convaincus. C’est une équipe qui n’a pas pour unique préoccupation le mécano institutionnel. Avec le Président Fritch nous parlons des préoccupations quotidiennes des Polynésiens, redémarrage de la croissance, solidarité nationale (à propos du RST, NDLR). Cela correspond à nos propres attentes. Je crois que nous faisons ensemble un travail utile.
Est-ce que votre mission consistera à faire un état des lieux du statut, 11 ans après sa mise en place, ou est-ce qu’il y a déjà besoin de modifier ce statut ?
Jean-Jacques Urvoas : C’est trop tôt pour vous répondre. J’ai besoin d’avoir une évaluation des services que rendent les compétences transférées. Le mouvement institutionnel depuis 2004 a été de donner des compétences supplémentaires de l’Etat à la Polynésie. Le décentralisateur que je suis regarde cela plutôt positivement.
Il y a deux sujets sur lesquels j’ai des interrogations. Dans le domaine de l’éducation, quand je vois qu’on a un taux d’accès au baccalauréat moins fort qu’en métropole, un taux d’illettrisme qui apparaît plus fort qu’en métropole, ce sont des indicateurs qui nécessitent des explications. Etait-ce le transfert qui n’était pas pertinent ou étaient-ce les modalités dans lesquelles il fut décidé qui étaient déficientes ? De la même manière, dans le domaine de la santé, lorsque l’on m’explique que des maladies chroniques comme le diabète ne sont pas régulées en Polynésie ou que l’hôpital est particulièrement coûteux, j’ai besoin de comprendre quelle part portent les lois ou les règlements en vigueur. Mon souhait est de mesurer si les transferts ont produit les effets attendus. Après, s’il faut toiletter le statut, pourquoi pas, il n’est pas gravé dans le marbre. Le président Fritch me semble demandeur d’une certaine adaptation. Donc, on est plus dans l’ordre du réglage que dans la revendication d’un autre statut.
A l’inverse, Gaston Flosse a déjà préparé un projet de loi organique. L’avez-vous lu ?
Jean-Jacques Urvoas : Je ne l’ai pas lu parce que je ne l’ai pas reçu. J’ai lu ce que vous en avez écrit. Comme président de la commission des lois, je suis attentif aux compatibilités des évolutions avec la Vème République. Or ce statut ne l’est pas, par exemple dans le domaine de la justice.
Par exemple, lorsqu’il est proposé que le gouvernement local puisse donner son avis sur la nomination des juges du parquet ?
Jean-Jacques Urvoas : Voilà. C’est étranger à l’histoire de notre République.
Dans ses réflexions, Gaston Flosse avance l’idée d’un pays associé au sein de la République. Est-ce que, là aussi, on sort du cadre ?
Jean-Jacques Urvoas : La mission n’arrive pas avec des œillères mais mes interlocuteurs seront des interlocuteurs institutionnels. Je ne viens pas faire de campagne électorale. Toutes les contributions sont naturellement les bienvenues mais celles qui m’intéressent au plus haut chef sont celles qui sont portées par le gouvernement Fritch.
L’autonomie apparaît parfois comme un piège qui permet à l’Etat de laisser la collectivité seule face à ses responsabilités. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Jacques Urvoas : C’est pour cela qu’il faut évaluer. Mais la délégation de compétences porte par essence la notion de responsabilité. On ne peut pas dire à la fois « laissez nous faire » et continuer à dire « il faut en plus nous aider ». Lorsque je demande des pouvoirs d’adaptation réglementaire pour le Conseil régional de Bretagne, c’est parce que je crois que les élus bretons seraient dans certains domaines plus rapides et plus efficaces que l’Etat. C’est pour cela que les rapports que nous avons avec Edouard Fritch sont utiles car il n’est pas dans une logique d’assistance. Il est dans une logique de dialogue, donc c’est positif.
Quel est votre avis concernant la demande de report de la mise en place des nouvelles compétences communales ?
Jean-Jacques Urvoas : J’y suis favorable. On voit bien que le législateur n’a pas suffisamment intégré un certain nombre de réalités. Mais il ne faudrait pas considérer que ce report soit un passeport pour l’inaction. C’est une opportunité supplémentaire pour permettre aux maires de prendre les bonnes solutions à un coût économique supportable pour leurs concitoyens.
Les maires portent aussi la demande de l’autonomie financière des communes polynésiennes qui sont en partie dépendantes des subventions versées par la présidence du Pays…
Jean-Jacques Urvoas : Cela fait partie des choses que je ne connaissais pas. Je ne savais pas que les communes de Polynésie avaient une compétence résiduelle et que la compétence générale était à la Polynésie française. C’est une situation originale. J’ai besoin de découvrir ce qu’est cette organisation entre les communes et la Polynésie.
Faites-vous une différence entre la Polynésie française et Nouvelle-Calédonie ? Pourquoi la France refuse-t-elle un processus de décolonisation chez l’un et l’accepte chez l’autre ?
Jean-Jacques Urvoas : Oui, je fais une différence entre les deux. Il y a une voie constitutionnelle qui a été fixée pour la Nouvelle-Calédonie avec des référendums qui sont prévus et avec la question de l’indépendance qui est posée depuis les Accords de Matignon puis l’Accord de Nouméa. Cette question de l’indépendance ne se pose pas de la même façon sur la scène politique polynésienne ni pour le gouvernement. Le statut de Pays d’outre-mer, qui est spécifique à la Polynésie, a été construit avec une philosophie qui est autre.
L’inscription sur la liste de l’ONU est un effet d’aubaine qui a été saisie et qui est aujourd’hui contestée par le gouvernement actuel. Et encore une fois, mon interlocuteur, mon partenaire est le gouvernement Fritch.
Gaston Flosse a été condamné définitivement pour détournement de fonds publics. Il est toujours président du principal parti politique. Quel est votre sentiment en tant que président de la commission des lois ?
Jean-Jacques Urvoas : Je n’ai pas d’avis. Selon la Constitution, les partis politiques concourent à l’expression du suffrage universel. Leur fonctionnement dépend de ce que les adhérents décident. Si les adhérents du parti X ont mis monsieur Y à sa tête, c’est leur choix. Dans ma fonction, je ne connais pas les partis politiques, je ne connais que les élus de la République et monsieur Flosse n’est plus un élu de la République.
Il conserve pourtant beaucoup d’influence sur les élus de la majorité d’Edouard Fritch…
Jean-Jacques Urvoas : Honnêtement, ce n’est pas une question institutionnelle. Dans les institutions, il n’existe plus de Gaston Flosse. Il peut être un acteur politique, il a l’influence que donne, j’imagine, la longévité d’un parcours. J’ai tendance à construire ma vie politique en regardant vers l’avenir.
Un tiers des élus du Tahoeraa commence à se rebeller contre Gaston Flosse. Est-ce que vous soutenez ces « frondeurs » polynésiens ?
Jean-Jacques Urvoas : (rires) Je suis bien trop ignorant des spécificités polynésiennes pour émettre un avis qui serait, d’ailleurs, vu de manière assez bizarre de la part de mes interlocuteurs. Je ne viens pas en Polynésie pour faire une campagne électorale. Je viens faire une mission de la Commission des lois.
Etes-vous favorable à donner plus de reconnaissance aux langues polynésiennes ?
Jean-Jacques Urvoas : Je le souhaite. Je pense que nous avons en métropole une vision inutilement prudente sur le sujet. La République, quand elle est forte, n’a aucune crainte à avoir avec la reconnaissance et le développement d’un patrimoine, d’une vitalité culturelle.
J’ai porté, comme parlementaire, une proposition de loi de ratification de la Charte des langues minoritaires qui a été votée de manière assez massive. Je souhaite que le gouvernement reprenne la main pour que nous puissions ratifier l’engagement du président de la République de ratifier la charte. Chez nous en Bretagne, l’auteur Pierre-Jakez Hélias dit que c’est quand on connaît la force de ses racines qu’on peut regarder vers la cime de l’arbre.
Pourtant, le conseil d’Etat a déjà censuré une loi de Pays parce que la discussion à l’assemblée s’était tenue en partie en tahitien…
Jean-Jacques Urvoas : Le conseil d’Etat n’est pas toujours un ami des particularismes régionaux. Il a une vision qui me paraît inutilement précautionneuse. Je pense que la reconnaissance du patrimoine culturel, linguistique, de la diversité de nos territoires est un élément de renforcement de la force de la République.
Ces dernières années, l’image de la Polynésie française a beaucoup été associée à l’instabilité politique puis aux affaires politico-judiciaires autour de Gaston Flosse. Aujourd’hui, avez-vous le sentiment que le gouvernement d’Edouard Fritch pourrait permettre de rétablir des relations plus constructives avec l’Etat ?
Jean-Jacques Urvoas : C’est mon souhait. L’Etat a besoin d’interlocuteurs constants. Avec Edouard Fritch et son gouvernement, nous avons des partenaires qui sont pour nous exigeants parce que convaincus. C’est une équipe qui n’a pas pour unique préoccupation le mécano institutionnel. Avec le Président Fritch nous parlons des préoccupations quotidiennes des Polynésiens, redémarrage de la croissance, solidarité nationale (à propos du RST, NDLR). Cela correspond à nos propres attentes. Je crois que nous faisons ensemble un travail utile.
Est-ce que votre mission consistera à faire un état des lieux du statut, 11 ans après sa mise en place, ou est-ce qu’il y a déjà besoin de modifier ce statut ?
Jean-Jacques Urvoas : C’est trop tôt pour vous répondre. J’ai besoin d’avoir une évaluation des services que rendent les compétences transférées. Le mouvement institutionnel depuis 2004 a été de donner des compétences supplémentaires de l’Etat à la Polynésie. Le décentralisateur que je suis regarde cela plutôt positivement.
Il y a deux sujets sur lesquels j’ai des interrogations. Dans le domaine de l’éducation, quand je vois qu’on a un taux d’accès au baccalauréat moins fort qu’en métropole, un taux d’illettrisme qui apparaît plus fort qu’en métropole, ce sont des indicateurs qui nécessitent des explications. Etait-ce le transfert qui n’était pas pertinent ou étaient-ce les modalités dans lesquelles il fut décidé qui étaient déficientes ? De la même manière, dans le domaine de la santé, lorsque l’on m’explique que des maladies chroniques comme le diabète ne sont pas régulées en Polynésie ou que l’hôpital est particulièrement coûteux, j’ai besoin de comprendre quelle part portent les lois ou les règlements en vigueur. Mon souhait est de mesurer si les transferts ont produit les effets attendus. Après, s’il faut toiletter le statut, pourquoi pas, il n’est pas gravé dans le marbre. Le président Fritch me semble demandeur d’une certaine adaptation. Donc, on est plus dans l’ordre du réglage que dans la revendication d’un autre statut.
A l’inverse, Gaston Flosse a déjà préparé un projet de loi organique. L’avez-vous lu ?
Jean-Jacques Urvoas : Je ne l’ai pas lu parce que je ne l’ai pas reçu. J’ai lu ce que vous en avez écrit. Comme président de la commission des lois, je suis attentif aux compatibilités des évolutions avec la Vème République. Or ce statut ne l’est pas, par exemple dans le domaine de la justice.
Par exemple, lorsqu’il est proposé que le gouvernement local puisse donner son avis sur la nomination des juges du parquet ?
Jean-Jacques Urvoas : Voilà. C’est étranger à l’histoire de notre République.
Dans ses réflexions, Gaston Flosse avance l’idée d’un pays associé au sein de la République. Est-ce que, là aussi, on sort du cadre ?
Jean-Jacques Urvoas : La mission n’arrive pas avec des œillères mais mes interlocuteurs seront des interlocuteurs institutionnels. Je ne viens pas faire de campagne électorale. Toutes les contributions sont naturellement les bienvenues mais celles qui m’intéressent au plus haut chef sont celles qui sont portées par le gouvernement Fritch.
L’autonomie apparaît parfois comme un piège qui permet à l’Etat de laisser la collectivité seule face à ses responsabilités. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Jacques Urvoas : C’est pour cela qu’il faut évaluer. Mais la délégation de compétences porte par essence la notion de responsabilité. On ne peut pas dire à la fois « laissez nous faire » et continuer à dire « il faut en plus nous aider ». Lorsque je demande des pouvoirs d’adaptation réglementaire pour le Conseil régional de Bretagne, c’est parce que je crois que les élus bretons seraient dans certains domaines plus rapides et plus efficaces que l’Etat. C’est pour cela que les rapports que nous avons avec Edouard Fritch sont utiles car il n’est pas dans une logique d’assistance. Il est dans une logique de dialogue, donc c’est positif.
Quel est votre avis concernant la demande de report de la mise en place des nouvelles compétences communales ?
Jean-Jacques Urvoas : J’y suis favorable. On voit bien que le législateur n’a pas suffisamment intégré un certain nombre de réalités. Mais il ne faudrait pas considérer que ce report soit un passeport pour l’inaction. C’est une opportunité supplémentaire pour permettre aux maires de prendre les bonnes solutions à un coût économique supportable pour leurs concitoyens.
Les maires portent aussi la demande de l’autonomie financière des communes polynésiennes qui sont en partie dépendantes des subventions versées par la présidence du Pays…
Jean-Jacques Urvoas : Cela fait partie des choses que je ne connaissais pas. Je ne savais pas que les communes de Polynésie avaient une compétence résiduelle et que la compétence générale était à la Polynésie française. C’est une situation originale. J’ai besoin de découvrir ce qu’est cette organisation entre les communes et la Polynésie.
Faites-vous une différence entre la Polynésie française et Nouvelle-Calédonie ? Pourquoi la France refuse-t-elle un processus de décolonisation chez l’un et l’accepte chez l’autre ?
Jean-Jacques Urvoas : Oui, je fais une différence entre les deux. Il y a une voie constitutionnelle qui a été fixée pour la Nouvelle-Calédonie avec des référendums qui sont prévus et avec la question de l’indépendance qui est posée depuis les Accords de Matignon puis l’Accord de Nouméa. Cette question de l’indépendance ne se pose pas de la même façon sur la scène politique polynésienne ni pour le gouvernement. Le statut de Pays d’outre-mer, qui est spécifique à la Polynésie, a été construit avec une philosophie qui est autre.
L’inscription sur la liste de l’ONU est un effet d’aubaine qui a été saisie et qui est aujourd’hui contestée par le gouvernement actuel. Et encore une fois, mon interlocuteur, mon partenaire est le gouvernement Fritch.
Gaston Flosse a été condamné définitivement pour détournement de fonds publics. Il est toujours président du principal parti politique. Quel est votre sentiment en tant que président de la commission des lois ?
Jean-Jacques Urvoas : Je n’ai pas d’avis. Selon la Constitution, les partis politiques concourent à l’expression du suffrage universel. Leur fonctionnement dépend de ce que les adhérents décident. Si les adhérents du parti X ont mis monsieur Y à sa tête, c’est leur choix. Dans ma fonction, je ne connais pas les partis politiques, je ne connais que les élus de la République et monsieur Flosse n’est plus un élu de la République.
Il conserve pourtant beaucoup d’influence sur les élus de la majorité d’Edouard Fritch…
Jean-Jacques Urvoas : Honnêtement, ce n’est pas une question institutionnelle. Dans les institutions, il n’existe plus de Gaston Flosse. Il peut être un acteur politique, il a l’influence que donne, j’imagine, la longévité d’un parcours. J’ai tendance à construire ma vie politique en regardant vers l’avenir.
Un tiers des élus du Tahoeraa commence à se rebeller contre Gaston Flosse. Est-ce que vous soutenez ces « frondeurs » polynésiens ?
Jean-Jacques Urvoas : (rires) Je suis bien trop ignorant des spécificités polynésiennes pour émettre un avis qui serait, d’ailleurs, vu de manière assez bizarre de la part de mes interlocuteurs. Je ne viens pas en Polynésie pour faire une campagne électorale. Je viens faire une mission de la Commission des lois.
Etes-vous favorable à donner plus de reconnaissance aux langues polynésiennes ?
Jean-Jacques Urvoas : Je le souhaite. Je pense que nous avons en métropole une vision inutilement prudente sur le sujet. La République, quand elle est forte, n’a aucune crainte à avoir avec la reconnaissance et le développement d’un patrimoine, d’une vitalité culturelle.
J’ai porté, comme parlementaire, une proposition de loi de ratification de la Charte des langues minoritaires qui a été votée de manière assez massive. Je souhaite que le gouvernement reprenne la main pour que nous puissions ratifier l’engagement du président de la République de ratifier la charte. Chez nous en Bretagne, l’auteur Pierre-Jakez Hélias dit que c’est quand on connaît la force de ses racines qu’on peut regarder vers la cime de l’arbre.
Pourtant, le conseil d’Etat a déjà censuré une loi de Pays parce que la discussion à l’assemblée s’était tenue en partie en tahitien…
Jean-Jacques Urvoas : Le conseil d’Etat n’est pas toujours un ami des particularismes régionaux. Il a une vision qui me paraît inutilement précautionneuse. Je pense que la reconnaissance du patrimoine culturel, linguistique, de la diversité de nos territoires est un élément de renforcement de la force de la République.