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Indemnisations du nucléaire : le Civen a-t-il encore une utilité ?


Le président du Civen, Alain Christnacht, lors de sa rencontre avec le Président Edouard Fritch, le 3 avril dernier durant une mission en Polynésie française. (©Présidence de la Polynésie française).
Le président du Civen, Alain Christnacht, lors de sa rencontre avec le Président Edouard Fritch, le 3 avril dernier durant une mission en Polynésie française. (©Présidence de la Polynésie française).
PARIS, 19 juillet 2017 - Le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires est paralysé après la démission de six de ses neuf membres. Selon son président, il suffirait que Matignon en nomme trois nouveaux pour que l’examen des dossiers redémarre.

Ils sont officiellement neuf. Mais après les démissions du début de semaine révélées par Radio1, le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen), se trouve réduit à deux membres : son président, Alain Christnacht, et le professeur de médecine proposé par les associations de victimes. Un médecin avait déjà démissionné en fin d’année dernière. Le Civen, chargé d’instruire les dossiers de d’indemnisation dans le cadre de la loi Morin est à l’arrêt. Pour fonctionner, il lui faut la présence minimum de cinq membres sur neuf.

Jean-Luc Sans, le président de l’Association des victimes des essais nucléaires (AVEN), l’avait "prévu" depuis plusieurs mois. "Depuis que le Civen commençait à ne plus servir à rien". Dans le cadre du processus d’instruction des demandes d’indemnisation des victimes déclarées des essais nucléaires français, le Civen doit évaluer si un cas de cancer est lié aux retombées radioactives. Mais depuis la suppression de la notion de risque négligeable, son utilité est sérieusement remise en cause. Il suffit désormais d'avoir résidé en Polynésie du 2 juillet 1966 au 31 décembre 1998 et d'être victime de l’un des 21 cancers concernés pour prétendre à une indemnisation sans avoir à démontrer le lien avec le nucléaire, la loi privilégiant dorénavant un principe de causalité.

Cette suppression, "c’était bien, mais cela a ouvert l’indemnisation à tout le monde", regrette Jean-Luc Sans. Et d’ajouter, dans une boutade, que "Johnny Halliday pourrait parfaitement être indemnisé, pour son cancer actuel et grâce à de lointaines vacances au fenua…" Pour lui, il aurait fallu une indemnisation systématique pour les personnes ayant travaillé sur sites et un examen au cas par cas pour les populations.

Alain Christnacht défend la décision de ses membres. "Ce n’est pas un geste de mauvaise humeur", dit-il, à propos de professionnels chargés "d’apprécier selon une méthodologie scientifique reconnue internationalement". Et relativise la portée de l’événement puisque les membres du Civen ont été nommés en février 2015 pour une mission de trois ans. Ce qui explique ces démissions collectives, c’est la suppression du risque négligeable, "mais pas seulement. Il y a aussi l’absence de fixation de nouveaux critères". Pour lui, la suppression du risque négligeable par le Parlement, cela "signifie que tous les cancers" peuvent ouvrir la voie à une indemnisation. En supprimant la notion de "risque négligeable", l'amendement à la loi Morin adopté en février dernier prévoyait la création d'une commission, composée pour moitié de parlementaires et pour moitié de personnalités qualifiées, chargée de proposer, dans un délai de 12 mois à partir de la promulgation de la loi, les mesures destinées à réserver l’indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires. Cette commission ayant la charge de formuler des recommandations à l’attention du gouvernement. Les décrets relatifs à la création de cette nouvelle instance sont encore attendus.

La députée Maina Sage, en pointe sur le dossier du nucléaire, s’agace devant cette nouvelle perte de temps. Il ne faut "pas se cacher derrière ces excuses pour ne pas indemniser des personnes qui doivent l’être". Elle répète que "les Polynésiens ont trop attendu" et qu’ils doivent être "indemnisés".

En attendant, le Civen est paralysé et avec lui le processus d'indemnisation voulu par la loi Morin. "Le Civen est à l’arrêt mais tout le processus judiciaire l’est aussi", souligne Jean-Luc Sans en référence aux tribunaux qui renvoient vers le Civen pour estimer une indemnisation. "Il faut absolument trouver un garde-fou", ajoute-t-il. Et, de ce fait, pour le député Moetai Brotherson "ces démissions en masse sont bien la traduction dans les faits de l'inadaptation des modifications qui ont été réalisées" sur la loi. "Les dossiers sont bloqués. Contrairement à l'annonce de la ministre en réponse à Maina Sage".

Maina Sage rappelle que le Civen ne devra pas seulement fixer l’indemnisation mais aussi regarder la qualité du dossier et l’effectivité du lien avec le nucléaire. Mais pour elle, ce qui importe désormais, c’est de savoir "comment le Civen va être réactivé et dans quel délai".

Pour Alain Christnacht, il y aurait bien une solution plutôt rapide, en attendant : parmi les huit membres du Civen, hormis le président, cinq sont proposés par le haut conseil de la Santé publique au terme d’un long processus. Mais trois autres personnalités qualifiées ne passent pas par cette voie. Il suffit donc de "trouver trois personnes" pour atteindre le quorum et fonctionner de nouveau. Cela serait possible de façon "réaliste en septembre".

La balle est désormais dans le camp du Premier ministre, puisque c’est lui qui a ce pouvoir de nomination. Le ministère des Outre-Mer l’a bien compris qui, prudent, "renvoie vers Matignon" sans le moindre commentaire.

Rédigé par Serge Massau, à Paris le Mercredi 19 Juillet 2017 à 10:43 | Lu 2302 fois