Évasion gourmande



Les cris du coq le firent sursauter. Il laissa les palpitations de son cœur ralentir. Puis, il se rappela : « C’est le grand jour. » Il vérifia sous son oreiller : les clés étaient toujours là. Il poussa un soupir de soulagement.
Une odeur de gingembre vint chatouiller ses narines. L’effluve, mêlée à l’air chaud et étouffant de la pièce, l’extirpèrent du lit. Il ouvrit la fenêtre. Face à lui se dressait la majestueuse chaîne de montagnes de Para Daa Iso, à peine dissimulée par la brume matinale.
« Ce soir, les gars, je quitte cette île » murmura-t-il aux oiseaux qui voltigeaient devant lui.
Il avait rêvé de muffins à la myrtille. Mais c’est encore une assiette de pota et une casserole fumante de boulettes de taro au lait de coco qui l’attendaient en cuisine. Sur le feu, le ragoût de lentilles et criquets à la spiruline mijotait. Il avait hâte de quitter cette prison à ciel ouvert. Il avait tout planifié. Tant pis si son pote Moana n’arrêtait pas de lui répéter qu’« on n’avait pas assez de blé pour survivre ailleurs, qu’on n’y connaissait rien à la ville, qu’on vivait au paradis blablabla… ». Jamie en avait marre des froussards et il trouverait le moyen de se faire du fric. N’importe où. À vingt-trois heures, et à dix-sept ans, il serait libre.
Depuis que ses grands-parents étaient tombés malades, sa mère avait vrillé. Elle parlait d’empoisonnement mondial et rêvait d’éradiquer les responsables. En attendant, elle éliminait les aliments transformés et le sucre. Elle avait entraîné des tas de personnes dans son délire paranoïaque : sa « communauté » prônait un retour à l’alimentation des origines.
« Les anciens vivaient très bien sans pizzas, sans chips et sans ketchup » affirmaient ses disciples.
Un retour aux origines sans voyages, sans hypermarchés ni restaurants, que Jamie connaissait uniquement à travers les vieux films des années 2000. Ses parents contrôlaient tout : des lectures jusqu’aux navigations internet. Il y a vingt ans, ils s’étaient lancés dans la permaculture de manière à se protéger des « tentations » du monde moderne. Jamie était né ici et n’avait jamais rien connu d’autre. Rien d’autre que des végétaux cultivés sous serres connectées.
Qu’importe, l’évasion était proche. À lui bientôt, les rues de New York, les entrecôtes saignantes, les frites croustillantes et les cheesecakes.
Il attendit impatiemment que la nuit tombe. À vingt-deux heures, il empoigna son sac à dos, enfourcha son vélo et prit la direction de la Marina. Malgré l’obscurité, il trouva rapidement le bateau de son père. Discrètement, muni des clés, il se faufila dans l’embarcation. Il ouvrit la cale pour y ranger ses affaires. À l’intérieur, il découvrit de vieux journaux jaunis par le temps. Ses yeux s’arrêtent sur les mots : « Pénurie de blé » et « famine mondiale ».
Un journal à moitié déchiré et à l’encre à peine visible rapportait :
 
«PARA DAA ISO : Des millions d’exilés refoulés aux portes du dernier paradis terrestre »
 
 
Autrice Vanessa TAIA