Jean-Pascal Couraud avec son fils en 1995
PAPEETE, mardi 25 juin 2013 - Deux anciens agents du Groupement d’intervention de Polynésie (GIP), Tino Mara et Tutu Manate, ont été mis en examen pour meurtre, enlèvement et séquestration en bande organisée, après avoir été auditionnés dans la journée par le juge d'instruction Jean-François Redonnet, dans le cadre de l'enquête sur la disparition du journaliste Jean-Pascal Couraud, apprend-on de source judiciaire. Les deux hommes ont été placés sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter la Polynésie française.
Léonard, dit Rere, Puputauki était également convoqué par le juge d'instruction mardi mais a demandé un report d'audition par l'intermédiaire de son avocat, Me Vincent Dubois. L'ancien chef des GIP purge actuellement une peine de 4 ans de prison dont deux ferme, à Nuutania, dans l'affaire du naufrage du Tahiti Nui IV. Peine aggravée par sa condamnation à une année d'incarcération dans le cadre de l'affaire des thoniers chinois.
"Cette mise en examen a le mérite de permettre à MM. Mara et Manate de pouvoir savoir enfin ce qui leur est reproché exactement", commente l'avocat des deux mis en examen. Mais "Le simple fait que mes clients soient laissés en liberté montre bien que la gravité des faits qui leurs sont reprochés est extrêmement relative", analyse Me François Quinquis qui annonce qu'il s'apprête à demander la nullité des mises en examen devant la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Papeete.
Ces deux mises en examen sont au demeurant les premières à être prononcées dans un dossier qui reste aujourd'hui encore très énigmatique. Elles surviennent aussi comme le énième rebondissement d'une instruction qui piétine depuis 15 ans.
Jean-Pascal Couraud, surnommé JPK, a disparu dans la nuit du 15 au 16 décembre 1997, à Tahiti. Engagé aux côtés du fondateur du Fetia Api, le leader politique Boris Léontieff, ce journaliste d’investigation était un opposant notoire à Gaston Flosse.
La disparition de JPK se produit, en ce mois de décembre 1997, dans des conditions qui posent aujourd’hui encore bien des questions.
Un suicide ?
En décembre 2008 l’enquête sur sa disparition met en évidence l’existence d’une note de 14 pages, connue de la Présidence de Polynésie française dès septembre 1997 et communiquée la même année à la DGSE, la Direction générale des services extérieurs, à Paris.
Ce document à charge, fait l’inventaire d’un certain nombre d’opérations financières supposées à Gaston Flosse et s’intéresse à l’existence d’un compte bancaire ouvert au Japon au nom de Jacques Chirac à la Tokyo Sowa Bank. L’information est confirmée sous X par un agent de la DGSE, en novembre 2009.
Cette note apparaît comme un mobile qui pourrait expliquer une tentative d'intimidation du journaliste qui aurait mal tourné, comme l'estime le grand reporter de France Inter Benoît Collombat dans l'ouvrage "Un homme disparaît : l'affaire JPK" (éd. Nicolas Eybalin) publié en mars 2013.
Jean-Pascal Couraud se sent surveillé fin 1997, il en fait part à ses proches, quelques temps avant sa disparition.
Effectivement l’enquête va révéler en 2010, que JPK est l’une des premières cibles du SED, dès septembre 1997. Le Service d’étude et de documentation, cellule de renseignements nouvellement créé de la Présidence polynésienne, est dirigé par un ancien de la DGSE, André Yhuel. Auditionné en 2010, ce dernier avoue avoir organisé la filature de JPK, fin 1997, après l'avoir longtemps nié, pressé de questions à ce sujet. C’est aussi lui qui s’est procuré la fameuse note, en août 1997 et qui l’a communiquée.
Le coup de théâtre d'octobre 2004
JPK disparaît dans un context ambigue, en cette mi décembre 1997. A leur domicile de Te Maru Ata, sur les hauteurs de Punaauia, son épouse dit avoir découvert une mise en scène, dans leur chambre à coucher, la nuit du 15 au 16 : un crâne posé sur l’oreiller et un mot qu'aurait laissé le journaliste, mais qu'elle dit avoir détruit : "j’ai horreur de la trahison, mais là où je vais je t’aimerai toujours". Rapidement, d''importants moyens sont mis en œuvre pour retrouver le corps. D'emblée, tout semble indiquer la piste d’un suicide.
En janvier 1998, ne pouvant adhérer, la mère de Jean-Pascal Couraud dépose cependant plainte, avec constitution de partie civile, pour enlèvement et séquestration.
Mais pendant sept ans, l'enquête va exclusivement se concentrer sur la thèse du suicide : très affecté par les perspectives d’une séparation avec son épouse, déprimé, le jeune père de famille de 37 ans se serait donné la mort en mer, estiment les premières conclusions de la justice. Dubitative, la famille finit par se plier à cette explication.
Le corps du journaliste ne sera jamais retrouvé.
Et il faut attendre 2005, suite aux révélations de Vetea Guilloux, un ancien membre du Groupement d’intervention de Polynésie (GIP), pour que les investigations s’orientent finalement vers la possibilité d’un assassinat.
En octobre 2004 Vetea Guilloux affirme avoir assisté à l'enlèvement de JPK, en 1997. Un soir de beuverie, peu de temps après, dans le hangar de la flottille administrative à Motu Uta, deux de ses collègues, Tino Mara et Tutu Manate, lui auraient même avoué avoir «liquidé» le journaliste popa’a au large de Tahiti, après l'avoir torturé, au point de le noyer. Le corps aurait ensuite été abandonné en mer, lesté de quatre parpaings, sur ordre téléphonique de Rere Puputauki, le patron du GIP.
Mais à l’époque, plutôt que d’ouvrir une information et d’explorer la piste criminelle, la priorité du parquet semble être de démontrer l’incohérence des déclarations du témoin. On est dans un contexte politique local très tendu. Le gouvernement Temaru 1 sera renversé en novembre. Vetea Guilloux ne serait-il pas l’instrument du Tavini Huiraatira, pour in fine mettre en cause Gaston Flosse ? Son témoignage, d’abord confié à Gilles Tefaatau, ministre du Logement à l’époque, aurait été fait en échange de la promesse d’un logement social.
Un gendarme chargé d’enquête en 2004 témoigne cependant : "la simple logique et la pratique très habituelle des parquets en la matière, consiste à ouvrir une information pour assassinat, au motif de révélations nouvelles", explique-t-il en 2009, sous couvert d’anonymat, interrogé par une équipe de la rédaction de Canal +. "Mais là, continue le militaire de la section de recherches, les instructions du parquet consistent à enquêter sur des faits de dénonciations calomnieuse : (...) On prend Vetea Guilloux pour un menteur, un affabulateur, on démontre que ce qu'il décrit est inexact, et le fait de mettre en cause nominativement des personnes sur des faits matériellement inexacts peut vous conduire devant le tribunal."
Guilloux condamné, jugement cassé
Et, de fait, au terme de 30 heures d'une garde à vue au cours de laquelle il finira par se rétracter, le 14 octobre 2004, Vetea Guilloux est jugé en comparution immédiate. Le procureur s'appuie sur des incohérences d'horaire pour discréditer son témoignage. L'ancien GIP est condamné pour dénonciation calomnieuse à un an de prison dont six mois ferme, et placé sous mandat de dépôt. Le jugement sera cassé à Paris en 2005.
En décembre 2004, la famille Couraud porte plainte contre X pour assassinat et complicité. Une instruction est alors ouverte que poursuit aujourd’hui le juge Jean-François Redonnet.
Personne n’a jamais à ce jour confessé aux juges ou aux enquêteurs avoir participé ni à la disparition, ni à l’assassinat de Jean-Pascal Couraud.
Mais confronté à Tino Mara et Tutu Manate, en mai 2007 puis en novembre 2012, Vetea Guilloux maintient avoir été témoin de l'aveu des deux anciens GIP, concernant la disparition de JPK. "Ce sont des mensonges", ont invariablement répondu les mis en cause.
Le dossier contient aussi plusieurs confessions, faites de différentes manières, par Tino Mara et Tutu Manate, qui ont indirectement indiqué avoir agi sous l’autorité de leur directeur, Rere Puputauki. Ces confessions, faites auprès de proches, sont rapportées par divers témoignages.
"A cela se rajoute le fait que ceux à l’encontre desquels il existe des indices graves et concordants d’être les auteurs de la disparition et de l’assassinat de Jean-Pascal Couraud, apparaissent au fil des investigations être en partie les mêmes qui ont pris des initiatives, parfois brutales pour faire pression sur les témoins, les intimider, les faire taire et même les amener à se rétracter", précise la note finale récapitulative adressée au juge Redonnet, le 14 février dernier, par Maîtres William Bourbon, James Lau et Marie Eftimie-Spitz, les avocats de la famille Couraud, pour soutenir la thèse d’un assassinat en adossant leur analyse sur 15 ans d’actes d’instruction.
Léonard, dit Rere, Puputauki était également convoqué par le juge d'instruction mardi mais a demandé un report d'audition par l'intermédiaire de son avocat, Me Vincent Dubois. L'ancien chef des GIP purge actuellement une peine de 4 ans de prison dont deux ferme, à Nuutania, dans l'affaire du naufrage du Tahiti Nui IV. Peine aggravée par sa condamnation à une année d'incarcération dans le cadre de l'affaire des thoniers chinois.
"Cette mise en examen a le mérite de permettre à MM. Mara et Manate de pouvoir savoir enfin ce qui leur est reproché exactement", commente l'avocat des deux mis en examen. Mais "Le simple fait que mes clients soient laissés en liberté montre bien que la gravité des faits qui leurs sont reprochés est extrêmement relative", analyse Me François Quinquis qui annonce qu'il s'apprête à demander la nullité des mises en examen devant la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Papeete.
Ces deux mises en examen sont au demeurant les premières à être prononcées dans un dossier qui reste aujourd'hui encore très énigmatique. Elles surviennent aussi comme le énième rebondissement d'une instruction qui piétine depuis 15 ans.
Jean-Pascal Couraud, surnommé JPK, a disparu dans la nuit du 15 au 16 décembre 1997, à Tahiti. Engagé aux côtés du fondateur du Fetia Api, le leader politique Boris Léontieff, ce journaliste d’investigation était un opposant notoire à Gaston Flosse.
La disparition de JPK se produit, en ce mois de décembre 1997, dans des conditions qui posent aujourd’hui encore bien des questions.
Un suicide ?
En décembre 2008 l’enquête sur sa disparition met en évidence l’existence d’une note de 14 pages, connue de la Présidence de Polynésie française dès septembre 1997 et communiquée la même année à la DGSE, la Direction générale des services extérieurs, à Paris.
Ce document à charge, fait l’inventaire d’un certain nombre d’opérations financières supposées à Gaston Flosse et s’intéresse à l’existence d’un compte bancaire ouvert au Japon au nom de Jacques Chirac à la Tokyo Sowa Bank. L’information est confirmée sous X par un agent de la DGSE, en novembre 2009.
Cette note apparaît comme un mobile qui pourrait expliquer une tentative d'intimidation du journaliste qui aurait mal tourné, comme l'estime le grand reporter de France Inter Benoît Collombat dans l'ouvrage "Un homme disparaît : l'affaire JPK" (éd. Nicolas Eybalin) publié en mars 2013.
Jean-Pascal Couraud se sent surveillé fin 1997, il en fait part à ses proches, quelques temps avant sa disparition.
Effectivement l’enquête va révéler en 2010, que JPK est l’une des premières cibles du SED, dès septembre 1997. Le Service d’étude et de documentation, cellule de renseignements nouvellement créé de la Présidence polynésienne, est dirigé par un ancien de la DGSE, André Yhuel. Auditionné en 2010, ce dernier avoue avoir organisé la filature de JPK, fin 1997, après l'avoir longtemps nié, pressé de questions à ce sujet. C’est aussi lui qui s’est procuré la fameuse note, en août 1997 et qui l’a communiquée.
Le coup de théâtre d'octobre 2004
JPK disparaît dans un context ambigue, en cette mi décembre 1997. A leur domicile de Te Maru Ata, sur les hauteurs de Punaauia, son épouse dit avoir découvert une mise en scène, dans leur chambre à coucher, la nuit du 15 au 16 : un crâne posé sur l’oreiller et un mot qu'aurait laissé le journaliste, mais qu'elle dit avoir détruit : "j’ai horreur de la trahison, mais là où je vais je t’aimerai toujours". Rapidement, d''importants moyens sont mis en œuvre pour retrouver le corps. D'emblée, tout semble indiquer la piste d’un suicide.
En janvier 1998, ne pouvant adhérer, la mère de Jean-Pascal Couraud dépose cependant plainte, avec constitution de partie civile, pour enlèvement et séquestration.
Mais pendant sept ans, l'enquête va exclusivement se concentrer sur la thèse du suicide : très affecté par les perspectives d’une séparation avec son épouse, déprimé, le jeune père de famille de 37 ans se serait donné la mort en mer, estiment les premières conclusions de la justice. Dubitative, la famille finit par se plier à cette explication.
Le corps du journaliste ne sera jamais retrouvé.
Et il faut attendre 2005, suite aux révélations de Vetea Guilloux, un ancien membre du Groupement d’intervention de Polynésie (GIP), pour que les investigations s’orientent finalement vers la possibilité d’un assassinat.
En octobre 2004 Vetea Guilloux affirme avoir assisté à l'enlèvement de JPK, en 1997. Un soir de beuverie, peu de temps après, dans le hangar de la flottille administrative à Motu Uta, deux de ses collègues, Tino Mara et Tutu Manate, lui auraient même avoué avoir «liquidé» le journaliste popa’a au large de Tahiti, après l'avoir torturé, au point de le noyer. Le corps aurait ensuite été abandonné en mer, lesté de quatre parpaings, sur ordre téléphonique de Rere Puputauki, le patron du GIP.
Mais à l’époque, plutôt que d’ouvrir une information et d’explorer la piste criminelle, la priorité du parquet semble être de démontrer l’incohérence des déclarations du témoin. On est dans un contexte politique local très tendu. Le gouvernement Temaru 1 sera renversé en novembre. Vetea Guilloux ne serait-il pas l’instrument du Tavini Huiraatira, pour in fine mettre en cause Gaston Flosse ? Son témoignage, d’abord confié à Gilles Tefaatau, ministre du Logement à l’époque, aurait été fait en échange de la promesse d’un logement social.
Un gendarme chargé d’enquête en 2004 témoigne cependant : "la simple logique et la pratique très habituelle des parquets en la matière, consiste à ouvrir une information pour assassinat, au motif de révélations nouvelles", explique-t-il en 2009, sous couvert d’anonymat, interrogé par une équipe de la rédaction de Canal +. "Mais là, continue le militaire de la section de recherches, les instructions du parquet consistent à enquêter sur des faits de dénonciations calomnieuse : (...) On prend Vetea Guilloux pour un menteur, un affabulateur, on démontre que ce qu'il décrit est inexact, et le fait de mettre en cause nominativement des personnes sur des faits matériellement inexacts peut vous conduire devant le tribunal."
Guilloux condamné, jugement cassé
Et, de fait, au terme de 30 heures d'une garde à vue au cours de laquelle il finira par se rétracter, le 14 octobre 2004, Vetea Guilloux est jugé en comparution immédiate. Le procureur s'appuie sur des incohérences d'horaire pour discréditer son témoignage. L'ancien GIP est condamné pour dénonciation calomnieuse à un an de prison dont six mois ferme, et placé sous mandat de dépôt. Le jugement sera cassé à Paris en 2005.
En décembre 2004, la famille Couraud porte plainte contre X pour assassinat et complicité. Une instruction est alors ouverte que poursuit aujourd’hui le juge Jean-François Redonnet.
Personne n’a jamais à ce jour confessé aux juges ou aux enquêteurs avoir participé ni à la disparition, ni à l’assassinat de Jean-Pascal Couraud.
Mais confronté à Tino Mara et Tutu Manate, en mai 2007 puis en novembre 2012, Vetea Guilloux maintient avoir été témoin de l'aveu des deux anciens GIP, concernant la disparition de JPK. "Ce sont des mensonges", ont invariablement répondu les mis en cause.
Le dossier contient aussi plusieurs confessions, faites de différentes manières, par Tino Mara et Tutu Manate, qui ont indirectement indiqué avoir agi sous l’autorité de leur directeur, Rere Puputauki. Ces confessions, faites auprès de proches, sont rapportées par divers témoignages.
"A cela se rajoute le fait que ceux à l’encontre desquels il existe des indices graves et concordants d’être les auteurs de la disparition et de l’assassinat de Jean-Pascal Couraud, apparaissent au fil des investigations être en partie les mêmes qui ont pris des initiatives, parfois brutales pour faire pression sur les témoins, les intimider, les faire taire et même les amener à se rétracter", précise la note finale récapitulative adressée au juge Redonnet, le 14 février dernier, par Maîtres William Bourbon, James Lau et Marie Eftimie-Spitz, les avocats de la famille Couraud, pour soutenir la thèse d’un assassinat en adossant leur analyse sur 15 ans d’actes d’instruction.